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LES FABLES
LE RENARD ET LE BOUC (III,5).


Du Regnart et du Chevreau.

Le Regnart et le Chevreau, ung jour d’esté ouquel faisoit grand et excesssif chault, estoient alterés et mors de soif, et pour subvenir à leur alteration, firent diligence de cerchier aucune rivière ou autre eaue en laquelle il peussent boire. Finablement trouverent ung viel trou en maniere de puys assez parfond ouquel ilz descendirent et auquel ilz beurent a leur aise. Apres ce qu’ilz eurent parfaitement estaint leur soif, le chevreau se print a regarder contremont et considérer la maniere comment ilz sortiraient du dit puys, ce que le regnart apperceut assez clerement, car sa nature est d’estre toujours cault et subtil. Et tantost dist iceluy Regnart au dict Chevreau : « Mon compaignon, ayez bon courage, ne te soussie point de la manière de sortir d’icy dedans, car j’ay ja trouvé le moyen par lequel nous pourrons sortir et retourner en hault. Et pour ce faire, voycy la maniere convenable ; tu te dresseras tout droit et mettras les pieds de devant contre la paroy, puis après besseras la teste et les cornes entre tes jambes, tant que ton menton touchera a ta poitrine, et je monteray sur ton dos en me prenant a tes cornes et me lanseray et tireray hors de ce puys. Ce faict, je te tireray et mettray hors du dit puys. »

Le Chevreau fut simple et ignorant et creut et aquiessa au conseil du dit Regnart, lequel conseil luy sembloit estre bon, sans fraude ne simulation quel-