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diants, de plus en plus séduits par sa façon de démontrer ce qu’ailleurs on leur présentait comme objet de simple croyance. Les piétistes qui avaient précisément établi leur influence par la fondation de l’Université de Halle s’alarmèrent du succès croissant d’un enseignement purement rationaliste : de la des conflits sourds, exaspérés encore par des froissements de personnes, et qui finirent par éclater au grand jour, lorsque Wolff en remettant le 12 juillet 1721 le protectorat aux mains de Lange eut prononcé à cette occasion son Discours sur la morale des Chinois[1]. Woff soutenait que les Chinois et en particulier Confucius avaient une morale très pure, qui pouvait sans peine se ramener aux principes et aux règles de sa philosophie propre, et il concluait de là que la raison est capable de fonder une morale en général avec ses seules ressources, et par la seule considération de la nature humaine. Ce manifeste mit les piétistes en grand émoi. Breithaupt porta la lutte en chaire dès le lendemain ; au nom de la Faculté de théologie dont il était le doyen, Francke réclama la communication du manuscrit, que Wolff, aux applaudissements des étudiants, refusa. D'ailleurs, en publiant son discours, Wolff dans une note prévint qu’il avait entendu parler de la vertu au sens philosophique, non au sens théologique ou chrétien, et qu’il réservait entièrement le surcroît d’autorité et même de vérité que la révélation pouvait apporter aux démonstrations de la raison. La querelle n’en continua pas moins avec violence pendant près de deux années, au bout desquelles la Faculté de théologie adressa au roi des remontrances : Wolff était accusé d’affaiblir les meilleures preuves de l’existence de Dieu, de nier la liberté humaine, de dénaturer le miracle, de rendre Dieu responsable du mal, d'affirmer l’impuissance de la raison à justifier un commencement du monde et de l’espèce humaine. Frédéric-Guillaume, à cause

  1. Ed. Zeller, Voträge und Abhandlungen, I, 2e éd., 1875 : Wolff’s Vertreibung aus Halle ; der Kampf des Pietismus mit der Philosophie, p. 117-152.