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per puisqu'elles ont été inculquées dans nos âmes par Dieu même. Wolff affirme plus résolument encore le droit de la morale à s’émanciper. « Les actions libres des hommes sont bonnes ou mauvaises, en elles-mêmes et pour elles-mêmes ; ce n’est pas de la volonté de Dieu qu’elles reçoivent d’abord ce caractère. S’il était possible qu’il n’y eût aucun Dieu et que l’enchaînement actuel des choses pût subsister sans lui, les actions libres des hommes n’en resteraient pas moins tout aussi bonnes ou tout aussi mauvaises[1]. » Quand il se trouve chez un athée de la dépravation morale, ce n’est pas à son incrédulité qu’elle tient, c’est à son ignorance touchant les vraies lois du bien et du mal ; et c’est de la même source que découlent chez d’autres qui ne sont pas des athées une vie désordonnée et une mauvaise conduite. Les Chinois, bien qu’ils ne soient instruits de l’existence de Dieu par aucune religion naturelle, encore moins par la lumière de la révélation, n’en sont pas moins parvenus par la force de leur conscience à une morale si accomplie qu’ils pouraient servir de modèles aux autres peuples[2]. Au surplus, une philosophie pratique, telle que Wolff veut l’établir au nom de la raison, ne peut que faire abstraction de la diversité des croyances ; elle a pour objet de déterminer la règle universelle à laquelle nous devons conformer les actions qui sont en notre pouvoir. Cette règle est fondée dans la nature de l'âme humaine, en ce sens que l'âme humaine recherche naturellement ce qui est bon et fuit naturellement ce qui est mauvais ; si l’obligation peut donc en être rapportée à Dieu, elle n’en a pas moins son principe et son expression incontestables dans une disposition essentielle de notre être ; c’est une loi de la nature autant et même plus qu’une loi de Dieu, puisqu'elle ne cesserait pas d’être valable, même s’il n’y avait pas d’Etre supérieur à nous[3]. Elle s’énonce dans cette formule : Fais ce qui te perfec-

  1. Ibid., § 5, p. 6.
  2. Ibid., § 20-§ 22, p. 15-16.
  3. Ibid., § 15-§ 20, p. 13-15.