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ment l’urgence de la lutte à soutenir contre le mal. Il tentait de toutes ses forces à réaliser une plus complète immédiation du christianisme et de la vie.

Cette réforme de Spener, malgré la prudence avec laquelle elle était entreprise, ne pouvait que se heurter à des résistances violentes, en raison même de son succès. Les orthodoxes ne manquèrent pas d’invoquer contre elle, avec mainte hérésie, le danger de dissolution qu’elle présentait pour l’Église. Cependant le piétisme donnait en divers endroits des signes de robuste vitalité. À Leipzig en particulier, trois théologiens, Francke, Anton et Schade avaient fait de leur société d’études bibliques un puissant instrument de propagande piétiste. Les orthodoxes, comme suprême ressource, réussirent à les faire expulser, et avec eux le philosophe Christian Thomasius, qui par esprit de tolérance et pour faire face à de communs adversaires, les avait énergiquement soutenus. Mais le gouvernement prussien, qui croyait pouvoir compter sur le piétisme dans son effort pour unir les deux Églises, leur offrit un asile : bien mieux, quand fut fondée en 1694 l’Université de Halle, il prit l’avis de Spener pour la constitution de la Faculté de théologie et pour le choix des professeurs. Halle devint ainsi le grand centre de l’activité du piétisme, son champ d’application pour toutes les réformes conçues selon son esprit, spécialement pour les réformes pédagogiques. Au reste, en s’y implantant, la pensée de Spener ne fut pas sans s’y altérer ; elle tendit à y apparaître plus exclusive, plus concentrée vers un objet unique : il s’agit, non de travailler à la science, mais d’éveiller la conscience ; un grand détachement se produit de plus en plus à l’égard de la culture intellectuelle ; au nom du caractère pratique que doit revêtir la théologie, on en vient à faire de la puissance d’édification la mesure de toutes les disciplines. En même temps se développe pour l’éducation de la piété un méthodisme de plus en plus rigide. Avec de hautes vertus, Francke n’a que des capacités scientifiques et dialectiques assez restreintes,