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tères de l’époque l’aspiration vivace de certaines âmes de tous les temps à une religion plus intime et d’apparence plus pure ? Était-elle ou non compatible avec la constitution de l’Eglise luthérienne ? Avait-elle été précédée de tentatives essentiellement pareilles au sein de l’Eglise réformée ? Il n’importe ici. Quelque difficulté qu’il y ait à marquer les origines réelles et à définir l’extension exacte du mouvement piétiste, c’est bien de Spener qu’il reçut dans l’Eglise luthérienne sa puissance de propagation en même temps que sa direction précise. Spener ne met pas en doute la doctrine de l’Eglise luthérienne ; il respecte le dogme fondamental de la justification par la foi ; seulement c’est dans la volonté, non dans l’entendement, qu’il découvre la source de la religion, et ainsi il est conduit à n’admettre comme foi véritable que celle dont les œuvres, sans en être la condition, portent cependant témoignage[1]. Le christianisme est dans son fond tendance à la piété, amour de Dieu ; il perd toute vertu efficace à n’être pris que comme un objet d’enseignement extérieur et de connaissance ; il demande à être réalisé dans une expérience et une vie personnelles. Ce n’est donc plus à la polémique, ni à la dog-

  1. Voici ce que disait Leibniz au sujet de Spener et du problème de la justification, dans une lettre au Landgrave Ernest, 1680 : « Monsieur Spener estait de mes amis particuliers lorsque j’étais dans le voisinage de Francfort ; mais depuis que j’en suis parti, le commerce de lettres que nous avions ensemble a été interrompu. Cependant V. A. S. a eu raison de l’estimer ; je croy même qu’elle se serait accordée avec luy en matière de justification, si on estait entré dans le détail. Je me suis entretenu autres fois des heures entières sur ce chapitre avec feu Monsieur Pierre de Walenburg, Suffragain de Mayence, et il nous parut qu’il n’y avait gueres de différence qui se rapporte à la practique. Je sçais bien qu’il y en a dans la théorie, mais à cet égard les sentiments de quelques catholiques me semblent plus raisonnables que ceux de quelques Protestants. Car la charité met plus tost un homme en estat de grace que la foy, excepté ce qui est nécessaire au salut, necessitate medii ; un erreur de foy, ou hérésie ne damne peut estre que parce qu’elle blesse la charité et l’union. En effet ceux qui demandent la foy non seulement dans la créance, qui est un acte d’entendement, mais encor in fiducia, qui est un acte de volonté, font à mon avis un mélange de la foy et de la charité, car cette confiance bien prise est le véritable amour de Dieu. C’est pourquoy je ne m’étonne pas, s’ils disent qu'une telle foy est justifiante. » Chr. von Rommel. Leibniz und Landgraf Ernst von Hessen-Rheinfels, 2 vol., 1847, t. I. p. 277-278.