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MALEBRANCHE

par ce qu’elles ont d’infini en tout sens, elles dépassent la capacité qu’a l’esprit d’engendrer, s’il en a une, et même sa capacité d’embrasser. Toutes les autres explications mises de côté, il n’en reste qu’une qui est tout à fait conforme à la raison. Comme il est absolument nécessaire que Dieu ait en lui-même les idées de tous les êtres qu’Il a créés, comme d’autre part Dieu doit être très étroitement uni à nos âmes par sa présence, de sorte qu’on peut dire qu’il est le lieu des esprits comme l’espace est le lieu des corps, nous devons penser que c’est en Dieu que nous voyons les idées des choses et en particulier l’idée d’étendue.

La vision de l’étendue intelligible en Dieu n’est, comme nous le verrons, qu’une part de notre commerce avec la Raison divine. Mais il nous faut insister sur ce qu’elle signifie et dissiper les confusions que Malebranche s’est efforcé de dissiper. D’abord voir l’étendue intelligible, ce n’est pas la sentir : le sentiment est une modification de notre âme, et c’est Dieu qui le cause sans doute ; mais il le cause sans l’avoir ; car Dieu ne sent pas ; tandis qu’il a en soi l’idée de l’étendue. — Distinguons aussi entre voir l’essence de Dieu et voir l’essence des choses en Dieu : voir l’essence des choses en Dieu, ce n’est pas voir Dieu absolument, c’est voir sa substance en tant que relative à des créatures possibles ou participable par elles. En un sens on peut dire certes que l’étendue intelligible est Dieu puisque tout ce qui est en Dieu est Dieu même ; mais elle est Dieu en tant qu’il représente l’essence des choses et non pas Dieu en tant qu’il représente sa propre essence. L’être de Dieu ne comporte pas les imperfections qui reviennent à des êtres créés sur le modèle de l’étendue intelligible. — De plus, si la substance divine est représentative des corps par l’étendue intelligible, cela n’implique point que les corps existent nécessairement. Dieu n’est point nécessairement créateur du monde matériel ; et c’est pourquoi l’existence des corps est impossible