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aussi matérialiste. — Ce n’est qu’au nom de la liberté et de l’indépendance du moi qu’il pourrait être réfuté ; mais ce sont là précisément des postulats qu’il nie. — Semblablement, le dogmatique ne peut réfuter l’idéaliste. Car le principe sur lequel il se fonde lui-même, — la chose en soi, — n’a, de son propre aveu, d’autre réalité que celle qu’il doit avoir pour rendre compte de l’expérience. Or l’idéaliste se croit en possession du moyen d’expliquer l’expérience autrement, et par une vertu propre de l’intelligence qui réduit la chose en soi à n’être qu’une chimère. Dès lors tout ce que le dogmatique prétend déduire logiquement de la chose en soi est sans valeur contre l’idéaliste. — La question se pose donc ainsi : faut-il sacrifier la réalité du moi à la réalité de la chose, ou la réalité de la chose à la réalité du moi ?

La raison absolue de se décider ne peut être tirée de la raison même, car la décision, portant sur le choix du premier principe, ne peut dépendre de quelque motif apporté par le développement du principe même. Elle ne peut être qu’un acte de volonté déterminé par une inclination et un intérêt. Or l’intérêt suprême, et la condition de tout autre intérêt, est dans ce qui se rapporte à nous. Et cela est visible chez le philosophe même. Ne pas perdre son moi dans le raisonnement, mais le maintenir et l’affirmer, c’est là l’intérêt qui manifestement conduit toute sa pensée. Or il y a comme deux classes d’hommes, comme deux degrés d’humanité. Les uns, qui ne sont pas élevés jusqu’au plein sentiment de leur liberté et de leur indépendance, ne se reconnaissent eux-mêmes qu’autant que leur image leur est renvoyée par les choses ; ils ne voient dans leurs états et