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faut bien qu’elles se produisent selon l’ordre (ordre qui n’est pas historique) où la Doctrine de la science doit les considérer. Quelle est donc la fonction de la Wissenschaftslehre ? C’est d’élever jusqu’à la conscience et sous la forme d’un système les modes d’action de l’intelligence. Ces modes d’action sont nécessaires, à la différence des constructions des sciences particulières qui sont libres. Mais l’acte même par lequel la Wissenschaftslehre se constitue est un acte libre de réflexion et d’abstraction, exclusif de toute aveugle contrainte. Seulement voici la difficulté : d’après quelles règles procède la liberté dans cette abstraction ? Comment le philosophe connaît-il ce qu’il doit accueillir comme un mode d’action nécessaire de l’intelligence et ce qu’il doit laisser tomber comme un mode d’action contingent ?

Cela, il ne peut pas le connaître, du moment que ce qu’il doit précisément élever jusqu’à la conscience n’est pas encore élevé jusque-là. Pour l’accomplissement de son œuvre, il n’y a donc pas de règle et il n’en peut y avoir. L’esprit humain fait des tentatives de diverses sortes ; par d’obscurs tâtonnements il arrive à des lueurs d’aurore avant de parvenir à la pleine et éclatante lumière. C’est ce que confirme bien l’histoire de la philosophie ; tous les philosophes qui se sont succédé ont travaillé à dégager de ses conditions contingentes le mode d’action nécessaire de l’intelligence ; ils y ont plus ou moins complètement réussi, tantôt plus, tantôt moins ; dans l’ensemble, le jugement philosophique s’est de plus en plus développé et rapproché de son but. Comme le poète a besoin du sens de la beauté, le philosophe a besoin du sens de la vérité, et le génie n’est pas moins indispensable dans la philosophie que