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Le second jour a fui. Que fait Colomb ? il dort,
La fatigue l’accable, et dans l’ombre on conspire.
« Périra-t-il ? Aux voix : — la mort ! — la mort ! — la mort !
« Qu’il triomphe demain, ou, parjure, il expire. »
Les ingrats ! quoi ! demain il aura pour tombeau
Les mers où son audace ouvre un chemin nouveau.
Et peut-être demain leurs flots impitoyables,
Le poussant vers ces bords que cherchait son regard,
Les lui feront toucher, en roulant sur les sables
L’aventurier Colomb, grand homme un jour plus tard !

Il rêve : comme un voile étendu sur les mers,
L’horizon qui les borne à ses yeux se déchire,
Et ce monde nouveau qui manque à l’univers,
De ses regards ardents il l’embrasse, il l’admire.
Qu’il est beau, qu’il est frais ce monde vierge encor !
L’or brille sur ses fruits, ses eaux roulent de l’or.
Déjà, plein d’une ivresse inconnue et profonde,
Tu t’écriais, Colomb : « Cette terre est mon bien !… »
Mais une voix s’élève, elle a nommé ce monde,
O douleur ! et d’un nom qui n’était pas le tien !

Regarde : les vois-tu, la foudre dans les mains,
Vois-tu ces Espagnols altérés de carnage
Effacer, en courant, du nombre des humains
Le peuple désarmé qui couvre ce rivage ?
Vois les palais en feu, les temples s’écroulant,
Le cacique étendu sur ce brasier brûlant ;
Vois le saint crucifix, dont un prêtre inflexible
Menace les vaincus au sortir du combat,
S’élever dans ses mains plus sanglant, plus terrible
Que le glaive espagnol dans les mains du soldat.

La terre s’est émue ; elle s’ouvre ; descends !
Des peuples engloutis dans ses gouffres respirent,
Captifs privés du jour, dont les bras languissants