Page:Delavigne - Œuvres complètes, volume 4, Didot, 1881.djvu/60

Cette page n’a pas encore été corrigée


Il crut avoir dompté les enfants de Pélage ;
Entraîné de nouveau par ce char vagabond
Qui portait en tous lieux la guerre et l’esclavage,
Passant sur son empire, il le franchit d’un bond ;
Et tout fumants encor, ses coursiers hors d’haleine,
Que les feux du midi naguère avaient lassés,
De la Bérésina, qui coulait sous sa chaîne,
Buvaient déjà les flots glacés.

Il dormait sur la foi de son astre infidèle,
Trompé par ces flatteurs dont la voix criminelle
L’avait mal conseillé.
Il rêvait, en tombant, l’empire de la terre,
Et ne rouvrit les yeux qu’aux éclats du tonnerre :
Où s’est-il réveillé !…

Seul et sur un rocher d’où sa vie importune
Troublait encor les rois d’une terreur commune,
Du fond de son exil encor présent partout,
Grand comme son malheur, détrôné, mais debout
Sur les débris de sa fortune.

Laissant l’Europe vide et la victoire en deuil,
Ainsi, de faute en faute et d’orage en orage,
Il est venu mourir sur un dernier écueil,
Où sa puissance a fait naufrage.
La vaste mer murmure autour de son cercueil.

Une île t’a reçu sans couronne et sans vie,
Toi qu’un empire immense eut peine à contenir ;
Sous la tombe, où s’éteint ton royal avenir,
Descend avec toi seul toute une dynastie.

Et le pêcheur le soir s’y repose en chemin ;
Reprenant ses filets qu’avec peine il soulève
Il s’éloigne à pas lents, foule ta cendre, et rêve…
A ses travaux du lendemain.