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Ces deux esquifs de front fendent les mers profondes.
De vos rames battez les ondes,
Allez, vers ce vaisseau cinglez d’un même essor.
L’incendie a glissé sous la carène ardente ;
Il se dresse à la poupe, il siffle autour des flancs ;
De cordage en cordage il s’élance, il serpente,
Enveloppe les mâts de ses replis brûlants ;
De sa langue de feu, qui s’alonge à leur cime,
Saisit leurs pavillons consumés dans les airs,
Et, pour la dévorer, embrassant la victime
Avec ses mâts rompus, ses ponts, ses flancs ouverts,
Ses foudres, ses nochers engloutis par les mers,
S’enfonce en grondant dans l’abîme[1].

Ah ! Puisses-tu toujours triompher et punir !
Ce sont mes vœux, ô Grèce, et, devançant l’histoire,
Jadis l’heureux Tyrtée eût prédit ta victoire.
Alors c’était le temps cher à ton souvenir,
Où les amants des filles de mémoire,
Comme dans le passé lisaient dans l’avenir.

Mais du jour qu’infidèle à ces vierges célestes,
Leur hommage adultère a cherché les tyrans,
Du jour qu’ils ont changé leurs parures modestes
Contre quelques lambeaux de la pourpre des grands,

  1. Constantin Canaris, commandant de deux brûlots, rend ainsi compte de son expédition de Ténédos : J’arrivai en rade sous pavillon ottoman ; obligé de passer entre la terre et les vaisseaux turcs, je ne pus jeter mes grappins aux bossoirs de l’amiral ; alors je profitai du mouvement de la vague pour faire entrer mon beaupré dans un de ses sabords ; et dès qu’il fut ainsi engagé, j’y mis le feu en criant aux Turcs : Vous voilà brûlés comme à Chio ! La terreur se répandit aussitôt parmi eux : je descendis dans mon canot avec mes matelots, sans aucun danger, car l’ennemi ne tira pas même un coup de fusil.
    POUQUEVILLE, Histoire inédite de la régénération de la Grèce, liv. VIII