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Chio[1], tu vois tomber tes pieux monumens.
Ils tombent ces palais que l’art en vain décore ;
Et de ces bois en fleurs, où de tendres serments
Hier retentissaient encore,
Sortent de longs gémissements.

Ouvrez les yeux, ô grecs ! O grecs, prêtez l’oreille :
Vous verrez le tombeau, vous entendrez les cris
De tout un peuple qui s’éveille,
Poursuivi par le fer, la foudre et les débris ;
Vous verrez une plage horrible, inhabitée,
Où, chassé par les feux vainqueurs de ses efforts,
Le flot qui se recule en roulant sur des morts,
Laisse une écume ensanglantée.

Vengez vos frères massacrés,
Vengez vos femmes expirantes ;
Les loups se sont désaltérés
Dans leurs entrailles palpitantes.

Vengez-les, vengez-vous !… Ténédos ! Ténédos !
Deux esquifs à ta voix ont sillonné les flots :
Tels, vomis par ton sein sur la plaine azurée,
S’avançaient ces serpents hideux,
Se dressant, perçant l’air de leur langue acérée,
De leurs anneaux mouvants fouettant l’onde autour d’eux,
Quand la triste Ilion les vit sous ses murailles,
À leur triple victime attachés tous les deux,
La saisir, l’enlacer de leurs flexibles nœuds,
L’emprisonner dans leurs écailles.

Tels et plus terribles encor,

  1. La catastrophe de Chio eut lieu en 1822 ; l’incendie et les massacres se prolongèrent pendant les mois de mai et de juin.