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Il ne secoûra plus sa crinière sanglante,
Et ses ailes d’airain ne prendront plus l’essor
Pour suspendre au retour, sous la coupole d’or,
Les drapeaux conquis à Lépante.

Non, Venise n’est plus : ses tranquilles tyrans
Marchent, la tête haute, entre les deux géants
Qui virent de ses chefs le courroux tutélaire
Frapper les cheveux blancs qu’elle avait révérés,
Quand-la hache des lois, de degrés en degrés,
Fit bondir d’un tyran la tête octogénaire.

Où sont donc ses héros ? où sont-ils ?… Sous ta main,
Qui touché leurs froides reliques.
Où sont-ils ? Cherche-les, au seuil de ces portiques,
Dans l’immobilité d’un simulacre vain,
Dans ces marbres debout sur des tombeaux gothiques…
Ses héros aujourd’hui sont de marbre et d’airain.

Que dis-je ? de leurs yeux l’éclair encor s’élance :
Ils respirent encor sur ces murs où Palma,
Où du lier Tintoret la main les anima.
Le pinceau du Bassan fait parler leur silence.
Vous vivez, Lorédàn, Bembo, Contarini,
Vous vivez sur la toile, où le croissant puni
Livre ses crias captifs à vos pieux courages.
Vous ne pouvez mourir… les morts sont vos enfants,
Les morts sont les guerriers qui peuplent ces rivages,
Et passent devant vos images
Sans s’affranchir de leurs tyrans.

Père de tous les biens, l’amour de la patrie
Fonde seul la grandeur d’un peuple à son berceau :
Il fit régner Venise, ’et Venise flétrie,
Le jour qu’il expira, dut le suivre au tombeau.
Sa grandeur s’écoula comme le flot qui roule,