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Nous n’avons pas qualité pour apprécier ces exemples et nous ne pouvons que nous référer aux jugements qu’en ont portés les Anglais eux-mêmes ; mais ces jugements diffèrent absolument entre eux. D’une part, Dugald Stewart se montre peu enthousiaste et déclare que si les nombreuses significations du mot but ont été distinguées avec beaucoup de soin, du moins le mot humour n’a pas eu la même bonne fortune. D’autre part, au contraire, lord Brougham n’a pas assez d’éloges pour la méthode vraiment philosophique, selon lui, employée par Adam Smith dans ces deux exemples ; il regrette même que les conseils du jeune philosophe n’aient pas été suivis et qu’on en soit encore à attendre un dictionnaire bien compris, qui serait appelé cependant à rendre à la science et aux lettres un immense service.

En présence de cette diversité d’opinions, le lecteur français, ne peut prendre parti. Il nous semble, toutefois, que l’on pourrait peut-être expliquer la divergence de ces jugements en considérant les points de vue particuliers auxquels les deux commentateurs se sont vraisemblablement placés. En effet, tandis que Dugald Stewart paraît avoir examiné surtout la manière dont les différentes significations étaient distinguées, lord Brougham s’est attaché de préférence à la méthode indiquée par Smith, à la classification dont celui-ci voulait donner des exemples. Or, en ce qui concerne la signification des mots, le professeur de Glasgow était un assez mauvais juge, puisque l’écossais était sa langue maternelle et que la pratique de la langue anglaise n’avait pu lui donner encore ce tact délicat qui seul permet de discerner sûrement les différentes nuances à observer dans l’usage des termes. Au contraire, au point de vue de la classification, on ne pouvait guère trouver un meilleur maître. Ses Lectures à Édimbourg avaient roulé sur la rhétorique, il avait même commencé sur ce sujet un traité fort estimé des quelques amis qui avaient pu en prendre connaissance, enfin il avait débuté à Glasgow par la chaire de logique : la nature de son esprit et la direction de ses études l’avaient donc mis à même de se former des idées élevées au sujet de la méthode, et c’est ce que lord Brougham a vivement apprécié.