Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

riposte de M. Thorold Rogers ne put changer à cet égard le sentiment de l’assemblée. Au temps de Smith, en effet, la statistique n’était pas encore fondée et les données qu’on prétendait tirer des faits trop peu nombreux qu’on avait pu réunir, étaient souvent trop contestables pour servir de fondement à une induction. Smith, ne s’y méprenait pas, et, il l’a dit lui-même quelque part[1], il n’avait pas beaucoup de foi dans l’arithmétique politique. Dans ces conditions, il eût été imprudent de partir des faits comme base de la science et il dut adopter la méthode déductive. Si les faits abondent néanmoins dans son œuvre et l’alourdissent même parfois, ils sont toujours subséquents à l’argument, lui donnant plus de clarté sans pour cela le rendre plus certain : ils ne servent qu’à préciser le résultat des spéculations, à en démontrer ou à en contrôler l’exactitude, et ils ont souvent, d’ailleurs, pour seul objet, de sacrifier au goût du public anglais pour l’amas des documents ; ils sont tout-à-fait distincts de l’argumentation, et, seraient-ils tous faux, que le livre n’en resterait pas moins et que ses conclusions, tout en perdant de leur intérêt, ne perdraient rien de leur valeur.


Toutefois, nous différons profondément avec Thomas Buckle, et sur le but même de l’œuvre de Smith et sur la conception de son plan.

Pour nous, les divers travaux du maître ne sont que des parties distinctes d’une véritable Histoire de la Civilisation ; il voulait étudier à la fois le développement de l’homme et le progrès de la société, afin de démontrer finalement cette tendance à l’harmonie universelle qu’il souligne à toute occasion dans chacun de ses ouvrages et qui paraît être l’objet de sa plus constante préoccupation. Cette préoccupation, à vrai dire, n’avait pas échappé à Buckle, mais il n’y voyait qu’un des traits particuliers de l’œuvre alors que nous croyons y saisir le but même de l’auteur. L’âme généreuse du jeune philosophe de Glasgow avait été frappée de l’antagonisme apparent qui se manifeste entre les intérêts, il s’était dit qu’il n’est pas possible que la nature même de l’homme le pousse à la guerre, et il avait consacré

  1. Richesse, t. II, p. 140.