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Édimbourg, 16 avril 1773.


Mon cher ami,


Comme je vous ai confié le soin de tous mes papiers littéraires, je dois vous dire qu’excepté ceux que j’emporte avec moi, il n’en est aucun qui soit digne d’être publié, excepté un fragment d’un grand ouvrage qui contient l’histoire des systèmes astronomiques qui ont été successivement à la mode jusqu’au temps de Descartes. Je laisse à votre jugement de décider si on ne pourrait point publier ce morceau, comme un fragment d’un ouvrage conçu et projeté dans la jeunesse, quoique, à la vérité, je commence à soupçonner moi-même qu’il y a dans quelques parties de cet écrit plus d’art que de solidité. Vous trouverez ce petit ouvrage dans mon cabinet, écrit sur un mince cahier de papier in-folio. Tous les autres papiers détachés que vous trouverez dans la même layette ou dans l’armoire du bureau de ma chambre à coucher, ainsi qu’environ dix-huit cahiers minces in-folio, je vous prie de les détruire sans y jeter les yeux. À moins que je ne meure d’une mort très-soudaine, je prendrai soin que les papiers que j’emporte avec moi vous soient envoyés soigneusement.

Je suis toujours, mon cher ami, tout à vous,

Adam Smith.

Le temps n’avait fait que le confirmer dans sa résolution, et, quelque temps avant sa mort, au moment d’un autre voyage à Londres, il prescrivit à ses amis de détruire, en cas d’accident, tous les volumes de ses cours, ne leur laissant que la liberté de disposer, comme ils l’entendraient, du reste de ses manuscrits. De retour à Édimbourg, il leur avait renouvelé encore la même recommandation, puis, craignant sans doute que ses dernières volontés fussent à cet égard mal exécutées, il s’était décidé à faire brûler lui-même, devant ses yeux, ces précieux documents.

La perte la plus considérable que la postérité paraît avoir faite lors de cette destruction, est celle des matériaux qu’Adam Smith avait amassés pour son Traité du Droit, d’autant plus que si cet ouvrage avait été réellement commencé sous forme d’une critique de l’Esprit des Lois, il eût été très intéressant d’avoir ce commentaire de Smith sur l’œuvre de Montesquieu. Quant à la destruction des cahiers de ses cours, on ne saurait guère les regretter pour leur valeur même ; mais, en tant que documents, ils auraient été très-utiles au biographe en lui per-