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un instant ; lorsqu’il n’avait rien à observer, qu’il se trouvât seul, en société ou en public, il s’isolait par la pensée, il méditait, et, en rentrant chez lui, il avait parfois plusieurs pages à dicter de mémoire à son secrétaire.

Comme La Fontaine aussi, Smith était encore d’une générosité sans bornes et il aurait peut-être fort mal géré ses affaires, s’il n’avait eu avec lui sa mère ; celle-ci l’avait suivi à Édimbourg avec sa parente, miss J. Douglas, qui ne l’avait pas quitté depuis son séjour à Glasgow et qui dirigeait la maison avec économie.

Il ne s’était jamais marié. Peut-être n’en aurait-il pas trouvé le temps, tellement sa vie était absorbée par l’étude. On affirme, cependant, qu’il eut une passion et qu’il s’attacha pendant plusieurs années à une jeune fille très-belle et d’un esprit très-orné[1] ; mais cette inclination, complètement ignorée de la plupart des biographes, ne paraît pas avoir exercé une influence notable, soit sur sa vie, soit sur la direction de son esprit.

Quoi qu’il en soit, Smith n’avait pas les soucis de son ménage et il se reposait totalement sur miss Douglas du soin de ses affaires. Son train de maison était d’ailleurs fort modeste, et, bien que sa situation pécuniaire, d’abord peu brillante, se fût beaucoup améliorée depuis sa nomination au poste de commissaire des douanes, il n’avait rien voulu changer à sa manière de vivre, employant le surplus de ses revenus à faire le bien, d’une façon si discrète que ses amis intimes ne l’apprirent eux-mêmes qu’après sa mort.

Le seul luxe qu’il se permît était de recevoir souvent à sa table, mais il le faisait toujours simplement. Il avait aussi un faible particulier pour sa bibliothèque qui était fort restreinte mais très-précieuse et bien composée. Il n’y laissait entrer que des livres de valeur et il voulait même que leur état matériel ne laissât rien à désirer. Aussi, ceux qui voyaient cette bibliothèque étaient surpris de constater que tous les volumes étaient élégamment reliés et quelques-uns avec luxe. Comme il le disait à son compatriote Smellie, il n’était « petit-maître que dans ses livres[2] ».

  1. W. Bagehot. loc. cit.
  2. Encyclopædia Britannica (6e édition), art. Smith. « You must have remarked that I am a beau in nothing but my books. »