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prenait, dans la chaleur d’une conversation animée, de tracer le caractère de ses relations les plus intimes et qui, par cette raison, devaient lui être parfaitement connues. Le portrait était toujours plein de feu et d’expression ; il frappait d’ordinaire par des traits de ressemblance marqués et très piquants, pourvu qu’on envisageât l’original sous un aspect particulier ; rarement peut-être y aurait-on trouvé une image juste et complète sous tous les rapports et selon toutes les dimensions de l’objet. En un mot, on pouvait reprocher à ces jugements qu’il portait sans avoir le temps de les mûrir par la réflexion, d’être trop systématiques et de donner dans quelque extrême.

« Mais, de quelque manière qu’on doive expliquer ces petites singularités, il est certain qu’elles étaient intimement liées avec la noble simplicité de son cœur. Cette aimable qualité, qu’il possédait au plus haut degré, rappelait à ses amis tout ce qu’on a dit du bon La Fontaine. Elle avait même chez lui une grâce particulière, par le contraste qu’elle faisait avec les autres qualités auxquelles elle se trouvait réunie, avec ces dons sublimes de la raison et de l’éloquence qui ont rendu ses ouvrages de morale et de politique l’objet de l’admiration de l’Europe. »


Smith eût pu donc être ce qu’on appelle de nos jours un brillant causeur, parlant avec esprit de tout, et d’autant plus étincelant qu’il avait moins étudié la matière. Mais son caractère consciencieux méprisait cette vaine gloriole ; il tenait à aller au fond des choses, et ce n’était qu’au milieu d’un petit cercle d’amis, durant ses heures de délassement, qu’il laissait errer, son imagination. Celle-ci, d’ailleurs, était très vive et il s’en défiait. Si c’est un éclair de génie qui lui a fait entrevoir d’abord les vérités économiques qui ont fait sa gloire, ce n’est que par un labeur acharné qu’il est arrivé à les mettre en lumière ; il a été avant tout un grand travailleur, absorbant beaucoup de faits par la lecture et l’observation, puis les digérant par la méditation. Il saisissait vite un point de vue particulier, et si son esprit n’eût pas été si scrupuleux, il eût été fort systématique ; mais ces idées, qui naissaient spontanément chez lui, il les mûrissait et les rectifiait en les soumettant à l’épreuve des faits et à la contre-épreuve des systèmes opposés, s’attachant ainsi à