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« Les jugements qu’il formait sur les hommes d’après une légère liaison, étaient souvent erronés ; mais la pente naturelle de son caractère le portait beaucoup plus à une partialité aveugle qu’à des préventions défavorables et mal fondées. Accoutumé à considérer les affaires humaines sous des points de vue vastes et intéressants, il n’avait ni le temps, ni l’inclination de considérer en détail les qualités particulières des caractères vulgaires. De là vient que, quoiqu’il fût profondément versé dans la connaissance du cœur et de l’esprit humain, quoiqu’il eût employé souvent cette connaissance dans ses écrits en marquant d’une touche délicate les ombres les plus fines et les plus légères du génie et des passions, cependant il lui arrivait souvent, en s’occupant des individus, de porter des jugements qui s’écartaient de la vérité à un tel point qu’on ne pouvait s’empêcher d’en être surpris.

« Dans la confiance et l’abandon auxquels il se livrait quelquefois en société dans ses heures de délassement, il hasardait des jugements sur les livres ou des opinions sur des questions de théorie, qui n’étaient pas toujours tels qu’on les aurait attendus d’un esprit supérieur et d’un philosophe aussi distingué pour la constance et l’accord de ses principes. Ses jugements et ses opinions se ressentaient quelquefois de l’influence des circonstances accidentelles ou même de l’humeur du moment, et lorsqu’ils étaient recueillis par ceux qui ne le voyaient qu’occasionnellement, ils étaient propres à donner de ses vrais sentiments des idées fausses et contradictoires. Toutefois, en ces occasions comme en d’autres, il y avait toujours dans ses remarques beaucoup d’esprit et de vérité, et, si l’on eût combiné les différentes opinions qu’il énonçait en divers temps sur un même sujet, de manière à les modifier et à les limiter les unes par les autres, on en eût tiré probablement de quoi former une décision également juste et complète. Mais, dans la société de ses amis, il n’avait pas de penchant à rechercher ces résultats si bien déduits qu’on admire dans ses ouvrages ; il se contentait, d’ordinaire, d’une esquisse de l’objet, hardie et de main de maître, en saisissant le premier point de vue que lui présentait son humeur ou son imagination.

« On remarquait quelque chose de semblable lorsqu’il entre-