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teur ou en critique. L’indignation fut profonde dans les rangs du clergé, et le Dr Horne, évêque de Norwich, dans une lettre anonyme, attaqua vivement Adam Smith sur le terrain religieux.

On avait tort, cependant, d’attribuer au disciple d’Hutcheson les opinions métaphysiques de David Hume. Smith ne paraissait attaché, il est vrai, à aucune des Églises établies, mais, nous l’avons déjà fait remarquer, il professait une doctrine élevée en matière religieuse, et l’affirmation de l’existence de Dieu, de l’immortalité de l’âme, a servi de thème à l’un des plus beaux morceaux de sa Théorie des sentiments moraux[1]. Toutefois il ne répondit rien au Dr Horne, il évitait toujours avec le plus grand soin toute discussion religieuse, et d’ailleurs il jugea peut-être aussi, dans cette circonstance, qu’il avait été un peu loin dans l’éloge de son ami.


Vers la même époque, il quitta Kirkaldy pour aller s’établir à Londres. Après dix années de solitude dans son petit bourg d’Écosse, il jugeait nécessaire de se retremper dans un milieu littéraire, car il sentait que son esprit était un peu fatigué d’une trop longue concentration sur la même matière, et, avant d’entreprendre son nouvel ouvrage, il trouvait utile de vivre quelque temps de la vie intellectuelle d’une grande ville. Il fut accueilli avec empressement par la société la plus distinguée de Londres, heureuse d’avoir dans son sein le grand économiste, et il passa de fort agréables moments dans le commerce des hommes les plus éminents, tels que l’historien Gibbon qui s’était déjà fait connaître par ses études sur la littérature, l’éloquent orateur Burke qu’on appelait le Cicéron anglais, l’helléniste Jones, le brillant causeur Beauclerc.

Nous savons peu de chose sur la nature et la direction de ses études durant son séjour dans la capitale de l’Angleterre, et, s’il est probable qu’il travailla pendant cette période à son Traité du Droit, il est certain, du moins, qu’il y consacra fort peu de temps. D’ailleurs, il ne passa à Londres que deux années, car la famille de Buccleugh s’occupait d’obtenir pour lui l’emploi

  1. Théorie des sentiments moraux, p. 149 et 276.