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une lettre à Strahan[1], et ce dernier fut autorisé à la publier à la suite de la Vie de Hume, dont il était l’éditeur.

« C’est avec un plaisir réel, quoique bien mêlé de peine, écrivait Smith, que je prends la plume pour vous donner quelques détails sur la manière dont notre excellent ami, M. Hume, s’est conduit dans sa dernière maladie. Quoiqu’il eût jugé lui-même son mal incurable et mortel, cependant, par égard pour les instances de ses amis, il consentit à faire l’essai de ce que pourrait produire sur lui un long voyage. Quelques jours avant de se mettre en route, il écrivit le précis de sa vie, qu’il a confié à vos soins ainsi que ses autres papiers. Mon récit commence donc où le sien finit. »

Puis, après avoir fait l’historique des progrès de la maladie de Hume, de la fin d’avril au 25 août 1776, date du décès, il ajoutait :

« Telle a été la fin de notre excellent ami dont la mémoire nous sera toujours chère. On pourra juger diversement de ses opinions philosophiques, chacun les approuvant ou les condamnant suivant qu’il les trouvera conformes ou contraires aux siennes ; mais il est difficile qu’il y ait de la diversité dans le jugement qu’on portera de sa conduite et de son caractère. Jamais les facultés naturelles d’aucun homme ne furent plus heureusement combinées et équilibrées ; même dans le plus bas état de sa fortune, son extrême économie ne l’empêcha jamais de faire à l’occasion des actes de charité et de générosité : c’était une économie nécessaire, fondée, non sur l’avarice mais sur l’amour de l’indépendance. La grande douceur de son caractère n’altéra jamais la fermeté de son âme ni la confiance de ses résolutions. Sa plaisanterie habituelle n’était que la simple effusion d’une bonté naturelle et d’une gaieté tempérée par la délicatesse et la modestie, et où il n’entrait pas la plus légère teinture de cette malignité qui est si souvent le principe dangereux de ce qu’on appelle communément l’esprit. Jamais il ne lui échappa une seule raillerie qui eût pour but de mortifier : aussi ses railleries plaisaient-elles à ceux mêmes sur qui elles tombaient, et, de toutes ses grandes et aimables qualités, peut-être n’y en eût-il pas une qui rendit sa société plus agréable à ses amis que cette tournure de plaisanterie, quoiqu’ils en fussent d’ordinaire les objets. Cette gaieté naturelle, si

  1. Cette lettre à Strahan est datée de Kirkaldy, 9 novemvre 1776 (Vie de Hume écrite par lui-même, traduction Suard. Paris, 1777).