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CHAPITRE V


Enfin, au commencement de l’année 1776, l’ouvrage parut à Londres, en 2 forts volumes, sous le titre de Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations.

Il eut, en Angleterre, un immense succès. On l’accueillit d’abord avec faveur à cause de la réputation même de l’auteur, qui était considérable, puis cette faveur devint de l’enthousiasme lorsqu’on eût pu se rendre compte, par la lecture, de la vaste portée de cette œuvre.

Assurément cet ouvrage, quelle qu’en soit la valeur, manque parfois d’élégance et toujours de sobriété ; mais cette pesanteur même était plutôt, chez nos voisins, un puissant élément de succès. Cet amas de faits qui alourdit le plan, ces digressions continuelles qui fatiguent et distraient l’attention, étaient particulièrement goûtées par l’esprit anglais, et si Adam Smith, pénétré de la littérature française, avait allégé son œuvre en n’y maintenant que les idées générales et les faits particuliers les plus indispensables à leur démonstration, son livre n’eût peut-être pas été lu par beaucoup de ses compatriotes.

C’est là, en effet, une face curieuse du caractère de l’esprit anglais, et il importe d’insister sur cette observation, parce qu’elle fait mieux comprendre la composition de l’œuvre que nous étudions et qu’elle permet de démêler l’un des plus puissants éléments du succès des Recherches en Angleterre. « Le Français, dit M. Taine[1], demande à tout écrit et à toute chose la forme agréable ; l’Anglais peut se contenter du fonds utile. Le Français aime les idées en elles-mêmes et pour elles-mêmes ; l’Anglais les prend comme des instruments de mnémotechnie ou de prévision… En général, le Français comprend au moyen de

  1. Notes sur l’Angleterre, ch. VIII.