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aux institutions positives pour favoriser utilement le développement de l’état social.

Malheureusement il ne put réaliser son dessein. Après plusieurs années d’études, il fut forcé de reconnaître qu’il faisait fausse route en persistant à embrasser un plan aussi vaste, et que toute la vie d’un homme ne pourrait suffire à mener à bonne fin une pareille entreprise. Il se résigna donc peu à peu à limiter successivement sa tâche, il scinda son travail et se mit à composer d’abord la partie de son sujet qui avait mûri davantage dans son esprit depuis son voyage en France, à savoir l’étude des institutions dont le but ou l’effet était de réglementer la formation et la distribution de la richesse. Il s’acharna alors plus que jamais à l’étude, car son plan, bien que très réduit, était encore immense, et il avait résolu de ne pas quitter Kirkaldy avant que cette partie de son œuvre fut complètement achevée.

David Hume ne comprenait pas cette détermination ; il estimait, au contraire, qu’un écrivain doit habiter une grande ville afin de se tenir constamment dans une atmosphère littéraire, même un peu surchauffée, et il ne cessait de supplier son ami de quitter son village ou tout au moins d’aller le voir. La résistance que lui opposait Smith ne le lassait pas et il multipliait ses sollicitations.

Dès 1769, se trouvant, à Pames-Court, d’où il domine le golfe du Forth et la côte opposée du comté de Fife, il le presse déjà de venir lui rendre visite[1].

« Je suis charmé, écrit-il, de jouir enfin du plaisir de vous voir, mais, comme je voudrais aussi être à portée de vous entendre, j’ai fort à cœur que nous concertions ensemble quelques mesures pour y parvenir. Le mal de mer me met à la mort et je regarde avec horreur, avec une sorte d’hydrophobie, le large détroit qui nous sépare. Je suis d’ailleurs las de courir, au moins autant que vous devriez l’être de rester au logis. Je vous propose donc de venir ici et de passer quelques jours avec moi dans cette solitude. Je veux savoir ce que vous avez fait et j’ai dessein d’exiger de vous un compte rigoureux de

  1. Cette lettre est citée par Dugald-Stewart dans la Vie de Smith, traduite par P. Prevost en tête des Essais philosophiques. — Agasse, 1797.