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aux yeux de la Cour et du Ministère. Ne vous laissez pas atteindre par ce ridicule, montrez sa lettre brutale, mais ne vous en dessaisissez pas, de façon qu’elle ne puisse jamais être imprimée. Si vous le pouvez même, soyez le premier à en rire, et je parierais ma vie qu’avant qu’il soit trois semaines, on considérera que cette petite affaire, qui, à présent, vous cause tant d’ennui, vous fait autant d’honneur que quoi que ce soit qui vous arriva jamais. En cherchant à démasquer devant le public ce pédant hypocrite, vous courez le risque de troubler la tranquillité de toute votre existence. En le laissant tranquille, il ne peut vous donner quinze jours de souci.

Écrire contre lui, c’est, vous pouvez y compter, ce qu’il désire fort vous voir faire. Il est sur le point de tomber dans l’obscurité en Angleterre et il espère se rendre important en provoquant un illustre adversaire. Il aura beaucoup de gens pour lui, l’Église, les Whigs, les Jacobites, toute la partie éclairée de la nation anglaise qui aimera à mortifier un Écossais et à applaudir un homme qui a refusé une pension du Roi. Il n’est pas même invraisemblable qu’ils le paient très-bien pour l’avoir refusée et que Rousseau ait eu en vue cette compensation.

Tous vos amis désirent que vous n’écriviez rien : le baron d’Alembert, Mme  Riccoboni, Mlle  Riancourt, M. Turgot, etc., etc. – M. Turgot, un ami en tous points digne de vous, m’a prié de vous recommander cette conduite d’une manière toute particulière, comme un avis très-sérieux sur lequel il insiste vivement. Nous avons peur que vous ne soyez entouré de mauvais conseillers et que l’opinion de vos gens de lettres anglais (english litterati), qui sont eux-mêmes habitués à publier dans les journaux tous leurs petits commérages, n’ait une trop grande influence sur vous.

Rappelez-moi au souvenir de M. Walpole, et croyez-moi, avec l’affection la plus sincère,

Toujours à vous.
Adam Smith


On sait que David Hume ne suivit pas le conseil de Smith : il tint à rendre le public juge du différend et il publia toute sa correspondance avec Rousseau, en y joignant un commentaire destiné à faire ressortir l’ingratitude de son ancien ami. La querelle fit beaucoup de bruit, mais tout cet éclat n’eut d’autre résultat que de nuire grandement à la réputation de l’historien écossais : on jugea qu’il était indélicat de se servir