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ciété, il sentait fort son isolement. « La vie que je menais à Glasgow, écrivait-il à David Hume dès le 5 juillet 1764[1], était une vie de plaisir et de dissipation (a pleasurable dissipated life), en comparaison de celle que je mène ici ; j’ai entrepris de composer un livre afin de passer le temps. » Ce livre était vraisemblablement la Richesse des Nations, qu’il commençait à préparer, et il en parla souvent, au dire de l’abbé Morellet, lorsque plus tard, à Paris, il entra en rapport avec les économistes.

Il passa ainsi, avec son élève, dix-huit mois à Toulouse, cultivant notre langue, amassant des matériaux pour son ouvrage et ne négligeant aucune occasion de recueillir des observations et des renseignements, soit au moyen des nombreux documents qu’il pouvait consulter à la Bibliothèque de l’Université, soit par des conversations particulières avec d’éminents magistrats auxquels Hume avait pu enfin le recommander. Il ne quitta la capitale du Languedoc qu’à la fin du mois de septembre de l’année 1765 et il se dirigea sur Genève, à petites journées, traversant le Midi de la France dont il visita les principales villes.

Genève était une ville toute française, mais la parole y était libre, et, pour ce motif, son territoire servait habituellement de refuge aux philosophes menacés de lettres de cachet. Adam Smith et le jeune duc y séjournèrent deux mois, puis ils partirent enfin pour Paris où ils arrivèrent vers les fêtes de Noël.

Hume était alors sur le point de retourner en Angleterre. Depuis le rappel de lord Hertford, nommé vice-roi d’Irlande, il était resté à Paris comme chargé d’affaires ; mais l’arrivée du nouvel ambassadeur, le duc de Richmond, venait de le relever de ses fonctions. Il songeait, à ce moment, à partir au plus vite pour conduire au-delà du détroit son ami J.-J. Rousseau, qui, venu le rejoindre à Paris, malgré l’arrêt du Parlement, attendait impatiemment son départ, protégé par l’enceinte du Temple où habitait le prince de Conti, Grand-Prieur de France. Mais, avant de quitter la France, il prit le temps de présenter et de recommander Adam Smith à ses meilleurs amis.

  1. Lord Brougham : Lives of men of letters and science who flourished in the time of George III. 3 vol. in-8. London, 1846.