Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de redouter qu’on les réalise trop brusquement ; il demande la suppression des entraves, mais il craint qu’on les brise ; il recommande sans cesse de ménager les transitions, de ne pas brusquer les habitudes de la nation, de ne pas violer les droits acquis.

« L’homme dont l’esprit public a pour base la bienfaisance et l’humanité, dit-il avec un grand sens politique, respectera les pouvoirs établis et même les privilèges des individus, particulièrement ceux des ordres principaux qui composent l’État : quoiqu’il trouve, à quelques égards, leur existence abusive, il se contente souvent de modérer ce qui ne peut être anéanti que par des mouvements violents. Lorsqu’on ne peut vaincre par la raison et la persuasion les préjugés enracinés des peuples, il n’essaie point de les étouffer par la force, et il observe religieusement ce que Cicéron appelait si justement la divine maxime de Platon : Qu’il ne faut pas plus employer la violence à l’égard de son pays qu’à l’égard de ses parents. Il fait accorder, autant qu’il le peut, ses nouvelles institutions avec les habitudes invétérées et avec les préjugés du peuple, et il s’attache surtout à remédier aux maux résultant de l’absence de certaines lois régulatrices auxquelles la foule se soumet en général avec peine. Quand il ne peut rétablir le droit, il ne dédaigne pas d’affaiblir l’abus qui a pris sa place, semblable à Solon, qui, ne pouvant établir la meilleure des législations possibles, se contentait de faire admettre la moins mauvaise de toutes celles dont les Athéniens étaient susceptibles. – L’homme systématique au contraire, peut être sage dans ses conceptions ; mais son enthousiasme pour la beauté idéale du plan de gouvernement qu’il a combiné, est tel qu’il n’y peut souffrir la moindre altération. Il veut l’établir d’une manière complète, sans aucun égard pour les grands intérêts et les puissants préjugés qui s’y opposent. Il croit qu’on peut disposer des différentes parties du corps social aussi librement que des pièces d’un jeu d’échecs : il oublie que les pièces d’un jeu d’échecs n’ont d’autres principes de mou-