Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre, au moment où il faut pourvoir immédiatement à des dépenses considérables et imprévues, il n’est pas praticable de s’adresser à l’impôt qui ne commencera guère à fonctionner utilement que plusieurs mois après ; alors, en effet, le salut de la patrie exige que l’armée soit augmentée, la flotte équipée, les villes de garnison mises en état de défense, il faut constituer d’immenses approvisionnements de vivres, d’armes et de munitions. Il s’incline donc devant cet intérêt supérieur qui doit primer toute autre considération, et il comprend que, dans ce cas pressant, le gouvernement puisse recourir à l’emprunt ; mais il ne voudrait pas qu’on allât au delà, qu’on continuât à user de cet expédient pendant toute la durée des opérations, et il estime qu’il est sage de chercher dans l’impôt seul les moyens mêmes de continuer la guerre.

Cette doctrine est vraiment un peu étroite. Il est certain, assurément, qu’au point de vue moral et politique, l’impôt est préférable, parce qu’il fait sentir immédiatement et lourdement à la nation le poids des frais de la guerre et qu’il en fait désirer la fin. Comme l’a dit fort éloquemment M. Gladstone à la Chambre des communes[1] : « Les frais de la guerre sont le frein moral que le Tout-Puissant impose à l’ambition et à la soif de conquêtes inhérentes à tant de nations ; il y a dans la guerre une sorte d’éclat et d’entraînement qui lui donne un certain charme aux yeux des masses et en dissimule les maux ; la nécessité de payer, année par année, les frais qu’entraîne la guerre, est un frein salutaire. » Par l’emprunt au contraire, — Smith a parfaitement insisté sur cette observation — les gouvernements évitent de mécontenter l’opinion publique à un moment où elle pourrait peser sur l’issue de la guerre, et, au lieu de froisser les citoyens dans leurs intérêts immédiats, ils acquièrent généralement la popularité en flattant l’amour-propre national par des victoires et des conquêtes qui ne paraissent coûter qu’un faible supplément d’impôts. « Au moyen de la ressource des emprunts, dit Smith[2], une augmentation d’impôts fort modérée les met à même de lever assez d’argent d’année en

  1. Séance du 6 mars 1851.
  2. Rich., liv. V, ch. III (t. II, p. 631).