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peuple[1]. L’impôt n’est nullement la dette particulière des riches, il est la dette commune de tous les citoyens pour les services que rend l’État. On ne peut rien demander à ceux qui n’ont rien du tout ; mais à ceux qui ont un peu, pourquoi ne leur rien demander ? Est-ce que tout le monde ne jouit pas de la protection de l’État ? est-ce que tout le monde n’est pas responsable, à quelque titre, de l’établissement de la dette publique ? Et il en est ainsi surtout de nos jours où, par le suffrage universel, chacun participe directement à l’exercice de la puissance souveraine.


Il ne nous en faut pas moins reconnaître que l’étude des impôts n’est pas aussi satisfaisante que les autres parties de l’œuvre de Smith. L’auteur semble avoir été trop influencé par les considérations politiques, par l’état social de son pays au temps où il écrivait, et les applications de ses doctrines aux impôts existants sont parfois peu logiques. Aussi cette partie des Recherches présente peut-être un intérêt moins permanent que la partie doctrinale, toujours vraie malgré l’expérience de plus d’un siècle.

C’est ainsi que, dans l’examen de l’impôt foncier, il montre, à toute occasion, une tendance fâcheuse à faire intervenir l’impôt comme un moyen de développer ou de réprimer certains usages ou certaines pratiques de l’agriculture, et on ne peut que s’étonner de voir cet apôtre fervent de la liberté substituer ainsi l’appréciation de l’État au libre jeu de l’intérêt privé. « Il y a

  1. Esprit des Lois, liv. XIII, ch. VII. « Dans l’impôt de la personne, la proportion injuste serait celle qui suivrait exactement la proportion des biens. On avait divisé à Athènes les citoyens en quatre classes. Ceux qui retiraient de leurs biens cinq cent mesures de fruits liquides ou secs payaient au public un talent ; ceux qui en retiraient trois cents mesures devaient un demi-talent ; ceux qui avaient deux cents mesures payaient dix mines ou la sixième partie d’un talent ; ceux de la quatrième classe ne donnaient rien. La taxe était juste, quoi qu’elle ne fût point proportionnelle : si elle ne suivait pas la proportion des biens, elle suivait la proportion des besoins. On jugea que chacun avait un nécessaire physique égal ; que ce nécessaire physique ne devait point être taxé ; que l’utile venait ensuite et qu’il devait être taxé, mais moins que le superflu ; que la grandeur de la taxe sur le superflu empêchait le superflu. »