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en même temps les moyens de les satisfaire, et l’action de notre responsabilité, lorsqu’elle s’exerce librement, nous conduit plus efficacement au but que tous les moyens réglementaires par lesquels l’État, même le plus éclairé, essaierait de diriger notre activité.


Mais si cette fonction est celle de l’État, il ne s’ensuit nullement qu’il doive toujours l’exercer directement et effectuer lui-même les diverses consommations exigées pour la satisfaction de ce besoin de liberté. C’est ce qu’Adam Smith s’est attaché à démontrer dans l’étude que nous venons d’analyser. Pour lui, les dépenses nécessaires à la défense commune et à la protection des nationaux à l’étranger sont les seules que le gouvernement doive se réserver dans tous les cas, car la force militaire qui en est la conséquence est l’attribut essentiel du pouvoir exécutif ; les nécessités de la politique commandent aussi à l’État de prendre à sa charge une certaine part des dépenses de l’éducation du peuple et les frais de l’entretien des cultes ; mais quant aux autres entreprises relatives à l’outillage national ou à l’enseignement secondaire et supérieur, Smith estime que le rôle du pouvoir à leur égard doit se borner à surveiller l’initiative individuelle et à n’y suppléer que lorsqu’elle fait défaut. C’est là la théorie des Recherches en ce qui concerne- l’intervention de l’État dans la consommation. Laissez faire, laissez passer, tel est le mot d’ordre que le maître a emprunté à Turgot, et il l’a développé plus complètement et plus scientifiquement que les physiocrates eux-mêmes, amenés malgré eux, par leurs préférences pour un gouvernement fort, à exagérer les attributions du souverain.


On a beaucoup critiqué cette doctrine et on a reproché à l’auteur un rigorisme trop absolu en matière de dépenses. On l’a blâmé surtout d’avoir trop limité le champ de l’impôt, qui est, prétend-on, l’une des plus belles manifestations de la solidarité des citoyens, et plus spécialement d’avoir banni la bienfaisance du domaine de l’État. « La justice, dit Victor Cousin[1], est-elle la seule loi morale ?… Nous aussi, par nos propres

  1. Philosophie écossaise, Ve leçon, p. 227.