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L’élément nécessaire de la concurrence, qu’il ne faut pas pousser à l’excès en cette délicate matière, est suffisamment représenté par la coexistence d’un enseignement secondaire et supérieur libre assez vivace pour empêcher l’Université de s’endormir dans la tradition et pour lui permettre de profiter des expériences qui seraient tentées à côté d’elle. Nous ne croyons pas qu’il faille aller plus loin, que l’État doive abandonner à elle-même l’instruction publique et cesser d’être professeur : les particuliers sont déjà trop enclins, surtout en Angleterre, à sacrifier la haute culture intellectuelle à des études moins élevées mais plus pratiques.


Le Dr Smith ne recommande toutefois la non-intervention du gouvernement que dans l’instruction secondaire et supérieure. Quant à l’enseignement primaire du peuple, il le considère au contraire comme une fonction nécessaire de l’État, il le veut presque gratuit et même en quelque sorte obligatoire. Pour la masse du peuple, en effet, l’État ne peut pas se reposer sur les familles du soin de l’éducation, il doit donc les y engager par la gratuité, et même les y contraindre, si c’est possible[1]. Il est permis d’ailleurs de voir dans cette fonction de l’État à l’égard des classes laborieuses, comme un complément de sa fonction relative à la sécurité des personnes et des biens, et Smith paraît en réalité s’être placé à ce point de vue. « Plus ces classes seront éclairées, dit-il, et moins elles seront sujettes à se laisser égarer par la superstition et l’enthousiasme, qui sont, chez les nations ignorantes, les sources ordinaires des plus affreux désordres. D’ailleurs, un peuple instruit et intelligent est toujours plus décent dans sa conduite et mieux disposé à l’ordre qu’un peuple ignorant et stupide. Chez celui-là, chaque individu a plus le sentiment de ce qu’il vaut et des égards qu’il a le droit d’attendre de ses supérieurs légitimes ; par conséquent, il est plus disposé à les respecter. Le peuple est plus en état d’appré-

  1. « L’État peut imposer à presque toute la masse du peuple l’obligation d’acquérir les parties de l’éducation les plus essentielles, en obligeant chaque homme à subir un examen ou une épreuve sur ces articles avant de pouvoir obtenir la maîtrise dans une corporation ou la permission d’exercer aucun métier ou commerce dans un village ou dans une ville incorporée. (Rich., liv. V, ch. I, t. II, p. 446).