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force irrésistible, la loi du souverain jusque dans les provinces les plus reculées de l’empire, et elle maintient une sorte de gouvernement régulier dans des pays qui, sans cela, ne seraient pas susceptibles d’être gouvernés. Quiconque examinera avec attention les grandes réformes faites par Pierre le Grand dans l’empire de Russie, verra qu’elles se rapportent presque toutes à l’établissement d’une armée de troupes bien réglées. C’est là l’instrument qui lui sert à exécuter et à maintenir toutes ses autres ordonnances. » Ainsi l’éminent politique ne marchande pas son adhésion à ces dépenses qui répondent au besoin le plus pressant des citoyens et qui leur permettent de se consacrer avec sécurité aux travaux productifs de l’agriculture, de l’industrie et du commerce.

En dehors de cette protection générale de la masse des individus contre les attaques des nations voisines, l’État a le devoir de protéger chaque particulier contre l’injustice et l’oppression des autres citoyens, au moyen d’une bonne administration de la justice. Comme pour les armées, les dépenses nécessaires à la police et à l’administration de la justice se sont accrues avec la civilisation. On n’en a guère senti la nécessité que lors de la constitution de la propriété et lorsqu’il a pu s’établir une certaine subordination parmi les membres de la société, d’abord au profil du plus âgé, puis au profit du plus puissant ou du plus riche. Ce fut alors le chef ou le souverain qui rendit la justice, et cette institution, au lieu d’imposer une charge à l’État, devint pour lui une source fort importante de revenus. Mais quand, par suite de l’accroissement des dépenses, les revenus du domaine devinrent insuffisants et qu’il fut nécessaire de recourir au principe d’une contribution générale, on étendit l’impôt à la rétribution de la justice : afin d’éviter la corruption, on décida que les juges ne recevraient plus, à l’avenir, qu’un salaire fixe, et la justice fut administrée gratuitement. Enfin la civilisation, en multipliant le nombre des affaires et des contestations, provoqua la séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif, et cette nouvelle application de la division du travail eut d’excellents effets au point de vue de l’administration de la justice, trop souvent sacrifiée jusque là aux intérêts politiques.

Adam Smith approuve sans réserve cette séparation des pou-