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pas saisi l’importance du travail accumulé dans la fécondation de la terre. D’une part, en effet, cette théorie de la rente est une véritable inconséquence sous la plume de l’économiste qui avait donné à la science des richesses la large base du travail et qui avait écrit au frontispice même de son œuvre que « le travail annuel d’une nation est le fonds primitif qui fournit à la consommation annuelle toutes les choses nécessaires et commodes à la vie. » Enfin, d’autre part, il est encore plus surprenant que cette condamnation de la rente qui, au point de vue moral, dénoterait un antagonisme réel entre l’économie politique et le droit, émane du philosophe même qui a proclamé partout l’accord des intérêts et dont l’œuvre entière avait pour but de démontrer la tendance générale à l’harmonie universelle. Et pourtant cet antagonisme n’existe pas. Du fait même que la rente puisse être considérée pour une petite partie comme un privilège au profit du propriétaire, on ne doit pas en conclure que ce privilège soit une injustice, car il ne viole en réalité aucun droit et il constitue même un gain non seulement pour le privilégié, mais encore pour la société en ce qu’il est un stimulant à la mise en valeur des terres et à l’accroissement de la richesse générale. Les individus se sont vus à la vérité privés du droit de cueillette, comme le chercheur de salicornes que Smith a vu dépossédé de son droit et obligé de payer une rente au propriétaire, de la côte ; mais il faut reconnaître que cette perte s’est trouvée plus que compensée par l’essor de l’industrie et du commerce, par la hausse des salaires et l’accroissement général du bien-être qui en ont été la conséquence.

Du reste, en prenant une part lors du partage des produits, le propriétaire du sol n’augmente en rien le prix des subsistances, et l’étude des lois de la répartition démontre surabondamment qu’il n’y a rente qu’autant qu’il reste un excédent après le paiement de l’ouvrier du capitaliste et de l’entrepreneur. Le montant de la rente n’exerce donc en réalité aucune influence sur les prix ; c’est un excédent qui reste à répartir après la rémunération des différents agents qui ont concouru à la production ; et si la rente n’existait pas, le consommateur ne profiterait même pas de cet abandon puisqu’il n’entraînerait aucune réduction des frais de production. « En résumé, a dit John Stuart