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alors sa cause et sa raison d’être dans la rémunération du travail de l’homme qui a développé la fertilité naturelle de la terre et qui en a multiplié les produits. Comme le salaire et le profit, la rente est, en somme, la rétribution du travail de l’homme. Le propriétaire n’est pas un parasite qui vient prendre, lors de la répartition, une part qu’il n’a pas méritée : cette part, il l’a gagnée par son labeur : « La terre sera maudite à cause de toi, a dit le Créateur à l’homme, et tu n’en tireras de quoi te nourrir pendant toute ta vie qu’avec beaucoup de travail ; elle te produira des épines et des ronces et tu te nourriras de l’herbe des champs ; tu mangeras ton pain à la sueur de ton front[1]. » Si d’ailleurs, au bout de quelques siècles d’exploitation d’un domaine, il était possible de défalquer exactement de la rente l’intérêt et le profit des capitaux incorporés, alors il y a fort à parier qu’il resterait bien peu pour la part de la productivité naturelle de la terre. La rente que le premier occupant s’est attribuée ne consistait en réalité que dans les produits naturels que donnait sans culture le champ qu’il défricha, et cette rente, bien minime, était indispensable pour provoquer la culture et engager l’homme à entreprendre ces travaux pénibles de la mise en valeur des terres. Depuis lors, ce n’est que grâce au travail, à l’incorporation des capitaux et au perfectionnement des modes de culture que cette rente, originairement insignifiante, a atteint l’importance qu’elle a acquise dans tous les pays peuplés, par suite de l’accroissement constant et graduel du produit net. Le don gratuit de la nature n’est plus qu’une bien faible partie du montant de la rente ; tout le surplus en revient au travail. Ce surplus s’accroît sans cesse, et, lors même que le montant d’un fermage reste stationnaire, on ne doit pas en conclure que les nouveaux capitaux qu’on a incorporés à la terre sont improductifs ; cet état tient à des causes particulières ou même à ce fait plus général qui n’infirme en rien notre argument, à savoir que la baisse de l’intérêt a réduit la rémunération de la somme totale des capitaux qui ont successivement fécondé la terre.

À un double point de vue, il est curieux qu’Adam Smith n’ait

  1. Genèse., ch. III §§ 17, 18 et 19.