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il n’en est pas ainsi. Il serait assurément bien difficile de suivre le cours du salaire réel moyen aux différents siècles, attendu que les points de comparaison sont loin d’être fixes et que les salaires sont souvent très différents suivant les pays et les professions, suivant les perfectionnements de l’industrie et les conditions hygiéniques mêmes du travail ; mais l’ensemble des observations permet néanmoins de constater que partout le taux des salaires a haussé, en général, beaucoup plus rapidement que celui des subsistances : la condition matérielle et morale de l’ensemble des ouvriers en est la preuve. Smith, du reste, avait lui-même constaté ce progrès évident, et il avait noté déjà dans la classe ouvrière ces habitudes de luxe que déplorent les moralistes, mais qui témoignent abondamment de l’accroissement du salaire réel qui permet ces folies.


Telle est donc la théorie du salaire, et Smith a fort justement démontré qu’il n’est au pouvoir ni du législateur par une réglementation arbitraire, ni même de l’une des parties par des coalitions et des grèves, d’en modifier le taux à son gré.

Il n’approuve pas les coalitions, mais n’en conteste pas la légitimité, et, s’il estime que, de son temps, elles n’ont le plus souvent que des effets funestes pour les ouvriers, il n’en revendique pas moins fort énergiquement le droit du travailleur à la grève. À cette époque, en effet, l’État viciait par la contrainte les rapports d’ouvrier à patron : les coalitions, faciles pour les maîtres qui pouvaient facilement se concerter en secret, étaient impraticables pour les salariés, et elles étaient d’ailleurs sévèrement réprimées par les gouvernements. Or, le célèbre économiste voulait que l’on donnât à tous les mêmes armes, que l’on respectât la liberté individuelle des ouvriers comme celle des patrons ; son vœu a été réalisé, et maintenant le travailleur, en possession de cet arme à double tranchant, aidé par des réserves quelquefois considérables et des associations puissantes, n’est plus l’opprimé dont Smith défendait naguère les droits. « Un propriétaire, un fermier, un maître fabricant ou marchand, disait l’auteur des Recherches, pourraient, en général, sans occuper un seul ouvrier, vivre un an ou deux sur les fonds qu’ils ont déjà amassés. Beaucoup d’ouvriers ne pourraient pas subsister sans travail