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de ses produits, il ne perçoit pas tout au même titre : une partie correspond au salaire de son travail manuel, une autre partie au profit qui lui est dû pour son travail de direction, et l’excédant seul du prix sur les frais de production constitue en réalité la rente de sa terre.


Le salariat n’existait pas à l’origine des sociétés. Avant l’appropriation des terres et l’accumulation des capitaux, le produit entier des marchandises appartenait à l’ouvrier. Mais, dès que la terre devint une propriété privée et fut fécondée par le travail, le propriétaire qui en avait accru la productivité acquit un droit à une part de son revenu : cette part constitua la rente. Puis, lorsque l’accroissement de la puissance productive du travail eût permis de constituer des capitaux et que la nécessité de la séparation des tâches se fût fait sentir, le capitaliste vint au secours de l’ouvrier pour lui avancer la matière première, les instruments nécessaires à son travail, et pour prix de son concours il réclama un profit. En même temps, comme l’ouvrier ne pouvait attendre jusqu’à la récolte la rétribution de ses efforts et qu’il fallait travailler et vivre jusque-là, il chercha à s’assurer un salaire immédiat qui lui permit de satisfaire ses besoins quotidiens ; il laissa donc au capitaliste l’aléa, l’excédant incertain du prix sur les salaires payés et les dépenses de production, préférant lui abandonner ainsi, comme compensation de son concours, le risque du gain, inséparable de celui de la perte.

La constitution du salariat a donc été, quoi qu’on ait dit, un progrès très réel ; en spécialisant les tâches et en donnant à un seul la direction de chaque entreprise, elle a favorisé la production, et, au point de vue distributif, elle a amélioré considérablement la situation de l’ouvrier en lui donnant la sécurité du lendemain. Mais ce salaire, toujours certain, ne pouvait pas être invariable : de là des plaintes. Ainsi on a accusé le capitaliste d’exploiter le travailleur, on a affirmé que l’accumulation des capitaux est une cause d’asservissement, de misère pour l’ouvrier, et on a été jusqu’à prétendre que la condition du peuple devient pire par l’accroissement de la richesse publique. Heureusement ces reproches ne sont nullement fondés et l’œuvre de Smith a contribué pour beaucoup à éclairer ce sujet en rendant