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était dû aux nations étrangères une balance contraire qu’il fallait leur payer de la même manière et qui, par là, diminuait notre stock de métaux.

Or, Smith a montré fort justement qu’une balance exacte est impossible à établir, à cause des erreurs dont les agents de la douane sont susceptibles, à cause des marchandises de contrebande qui échappent aux constatations, à cause des divers modes d’évaluation des denrées à la frontière. Il a constaté qu’en somme nous n’avons aucune donnée exacte qui nous permette de juger de quel côté penche cette balance du commerce ou de reconnaître lequel des deux pays exporte pour une plus grande valeur, et il en a conclu que les seuls principes qui guident en réalité notre jugement dans cette matière sont les préjugés et la haine nationale, excités par l’intérêt particulier des marchands : selon lui, ni les registres des douanes, ni le cours du change ne donnent d’indices certains à cet égard[1].

Mais l’éminent philosophe s’est attaché surtout à prouver la fausseté du principe et son indignation lui a suggéré de fort belles pages lorsqu’il a montré que l’effet d’un pareil système est de semer la haine et la discorde entre les nations. « Toute cette doctrine de la balance du commerce, dit-il[2], est la chose la plus absurde qui soit au monde. Elle suppose que quand deux places commercent l’une avec l’autre, si la balance est égale des deux parts, aucune des deux places ne perd ni ne gagne ; mais que si la balance penche d’un côté à un certain degré, l’une de ces places perd et l’autre gagne en proportion de ce dont la balance s’écarte du parfait équilibre. Ces deux suppositions sont également fausses. »

« C’est pourtant avec de pareilles maximes, poursuit Smith dans un passage resté célèbre[3], qu’on a accoutumé les peuples

  1. Liv. IV, ch. III (t. II, p. 66). Nous devons faire une réserve en ce qui concerne le cours du change. Contrairement à l’opinion de Smith, nous estimons que le cours du change fournit en réalité des données d’une grande valeur, mais nous rappellerons en même temps qu’au xviiie siècle il était encore compliqué et faussé par des éléments divers tenant à la valeur relative des monnaies des divers pays et surtout à leur état matériel.
  2. Rich., liv. IV, ch. III (t. II, p. 82).
  3. Rich., liv. IV, ch. III (t. II, p. 88).