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Cette observation est fort exacte et très bien présentée, et c’est elle qui a donné à Stuart Mill l’idée de sa comparaison ingénieuse des oscillations de la valeur courante aux agitations des flots : « L’Océan tend partout à prendre son niveau, mais jamais il ne le garde exactement ; sa surface est toujours ridée par les vagues et souvent remuée par les tempêtes. Seulement il n’est aucun point en pleine mer qui soit plus élevé que le point qui le touche ; chaque point s’élève et s’abaisse alternativement, mais la mer garde son niveau. »

Smith considère en effet, comme Stuart Mill, que ces fluctuations sont, en général, de courte durée. Mais, après avoir posé ce principe, il s’empresse néanmoins de faire des réserves et il signale toute une série de causes qui, à l’égard de diverses marchandises, parviennent à tenir longtemps le prix du marché au-dessus du prix naturel. Il y a des causes accidentelles, comme les secrets de fabrique, qui, permettant à l’industriel de diminuer ses frais, le font bénéficier, au moins pendant un certain temps, de tout le montant de cette réduction, puisque le prix de revient de ses concurrents continue à être le régulateur du marché. Il y a aussi des causes naturelles : diverses productions agricoles, par exemple, exigent un sol particulier ou une exposition spéciale, comme il arrive pour certains vignobles de la Bourgogne et du Bordelais, et il en résulte parfois que les terres de cette nature ne suffisent pas pour répondre à la demande effective. Enfin, il en est de même des monopoles artificiels établis par l’arbitraire du législateur, attendu que les individus ou les compagnies de commerce, qui en sont investis, tiennent le marché mal approvisionné et ne répondent jamais pleinement à la demande, pour arriver ainsi à vendre leurs marchandises fort au-dessus du prix naturel : tel était l’effet des privilèges exclusifs des corporations, des statuts d’apprentissage et de tous ces règlements multiples qui, au temps de Smith, restreignaient la concurrence à un petit nombre de producteurs.

Toutefois ces exceptions n’infirment nullement le principe, et, en règle générale, le prix du marché ne peut s’éloigner sensiblement du prix naturel sans provoquer une réaction. Si le prix courant d’une marchandise reste trop longtemps au-dessous