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de lord Kames lui attirèrent rapidement de nombreuses relations : c’est à cette époque, notamment, qu’il se lia avec David Hume, auquel il conserva toute sa vie l’amitié la plus inaltérable.

On s’est souvent étonné, quelquefois même scandalisé, de l’intimité qui existait entre ces deux hommes, de caractères en apparence si différents. C’est qu’on les connaissait mal tous les deux : le mobile de leurs études était le même, l’amour du bien public, et leur constante préoccupation était de combattre les privilèges et les monopoles qui écrasaient le peuple. Tous deux étaient donc d’accord sur le but à atteindre, qui était de dissiper les erreurs et les préjugés de toute sorte, au nom desquels on entravait la liberté humaine, et c’était cette communauté de vues qui les unissait si étroitement l’un à l’autre. – Ils différaient absolument, il est vrai, et sur le fondement de cette liberté individuelle qu’ils invoquaient tous deux, et sur les moyens à employer pour faire prévaloir leurs idées. David Hume, dont le génie avait mûri en France et chez qui on retrouvait les défauts comme les qualités de nos philosophes du XVIIIe siècle, voulait aller droit au but, sans ménagement pour les intérêts, sans respect pour les situations acquises. Smith, au contraire, durant les sept années qu’il avait passées à Oxford, avait subi l’influence de l’esprit anglais, plus terre-à-terre que l’esprit français, mais aussi plus politique ; d’un tempérament plus calme que son ami, il cherchait à ménager les transitions, il redoutait les réformes trop brusques, trop radicales, et il était persuadé, comme il l’a dit lui-même, que c’est une folie que de vouloir « disposer des différentes parties du corps social aussi librement que des pièces d’un jeu d’échecs ». Il était mesuré dans ses affections comme dans ses antipathies ; de même que tout Écossais, il aimait la France comme une seconde patrie et il ne dissimulait pas toujours son mécontentement de l’attitude des Anglais à l’égard de ses compatriotes, mais il ne faisait jamais en cela preuve de parti pris et il ne partageait nullement l’hostilité systématique de Hume à l’égard de l’Angleterre. Leurs opinions en matière théologique étaient également loin d’être les mêmes, car Smith croyait fermement à une autre vie, comme le témoignent certains passages de la Théorie des sentiments moraux, et si, en parlant des pratiques