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son collègue, par une connaissance approfondie de toutes les difficultés de la grammaire grecque.


Cependant, d’un autre côté, on n’était pas sans remarquer, à l’Université, que Smith semblait apporter moins de zèle et d’ardeur dans les recherches théologiques qui devaient le préparer à la carrière ecclésiastique, et que ses goûts paraissaient au contraire le diriger de préférence vers des doctrines philosophiques rejetées par l’Église. Ses supérieurs le firent surveiller et ils acquirent rapidement la certitude que le jeune boursier se livrait à des études qu’ils jugeaient pernicieuses : son « tutor », entrant un jour dans sa chambre à l’improviste, le surprit en flagrant délit, plongé dans la lecture du plus récent ouvrage de Hume. Le livre fut saisi et Smith sévèrement réprimandé, mais sa détermination était prise : comme Turgot qui, lui aussi, voulut rester laïque, le jeune philosophe écossais tenait à conserver l’indépendance de ses opinions, et, renonçant à l’Église qui lui promettait un brillant avenir, il retourna à Kirkaldy.


Il voulait professer. En suivant, à Glasgow, les cours de son maître Hutcheson, il avait envié bien des fois cette vie calme du maître qui passait une moitié de son temps à s’instruire lui-même et l’autre moitié à communiquer aux autres le résultat de ses études. Mais les chaires étaient rares, les postulants nombreux, et Smith, sans fortune, après avoir passé deux ans dans l’attente, allait se voir obligé « d’écrire pour les libraires ». Comme il nous l’a appris lui-même dans ses Recherches, la misère était alors le sort commun des gens de lettres : « La plupart d’entre eux, dans toutes les parties de l’Europe, disait-il plus tard[1], ont été élevés pour l’Église, mais ils ont été détournés, par différentes raisons, d’entrer dans les ordres ; ils ont donc, en général, reçu leur éducation aux frais du public et leur nombre est partout trop grand pour que le prix de leur travail ne soit pas réduit communément à la plus mince rétribution ».

  1. Richesse des Nations, Liv. I, ch. X, t. I, p. 174