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constate aussi que, pour l’histoire de nos civilisations, c’est la marche de l’esprit qu’il faut étudier directement. « En considérant en son entier l’histoire du monde, dit Buckle[1], la tendance a été, en Europe, de subordonner la nature à l’homme ; hors d’Europe, de subordonner l’homme à la nature. Il y a plusieurs exceptions à ce principe dans les pays barbares, mais dans les pays civilisés, la règle a été universelle. Donc la grande division de la civilisation en européenne et en non-européenne est la base de la philosophie de l’histoire, puisqu’elle nous suggère cette importante considération que, si nous voulons comprendre, par exemple, l’histoire de l’Inde, nous devons d’abord nous attacher à l’étude du monde extérieur, parce qu’il a eu plus d’action sur l’homme que l’homme n’en a eu sur lui. Si, d’un autre côté, nous voulons comprendre l’histoire d’un pays tel que la France et l’Angleterre, l’homme doit être notre principal sujet d’étude, parce que la nature étant comparativement plus faible, chaque pas vers le grand progrès a augmenté la domination de l’esprit humain sur les influences du monde extérieur. »

C’est pour ce motif que Smith cherchait à suivre le développement de l’esprit de l’homme dans ses plus hautes manifestations, c’est-à-dire dans l’histoire des systèmes qu’il a successivement imaginés pour expliquer la liaison des choses. Il fait remarquer d’abord que la philosophie n’apparut pas dès l’origine des sociétés. Avant de se livrer à ces recherches élevées, il fallait que les hommes eussent acquis la sécurité et la certitude du lendemain ; il était nécessaire, en outre, qu’il y eût déjà une certaine accumulation de richesses qui permit à quelques-uns de trouver des loisirs. Ce n’est qu’à cette époque que l’homme devint plus attentif aux apparences de la nature, plus observateur de ses irrégularités, plus désireux de connaître la chaîne qui leur sert de lien. La crainte superstitieuse que lui inspiraient les phénomènes naturels s’atténua peu à peu, la curiosité commença à s’éveiller, et c’est ainsi que les colonies grecques, qui arrivèrent les premières à la sécurité, donnèrent naissance aux premiers philosophes.

Or, de tous les phénomènes de la nature, ceux qui devaient,

  1. Hist. de la Civilisation, I, p. 171.