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sibles, ces objets nous paraissent étroitement liés entre eux, et la pensée glisse aisément le long de cette chaîne unie sans effort et sans interruption. Mais si cette liaison ordinaire est interrompue, si un ou plusieurs objets s’offrent à nous dans un ordre tout à fait différent de celui auquel notre imagination est accoutumée et pour lequel elle est préparée, on éprouve un sentiment tout à fait contraire. Au premier aspect, cette apparence nouvelle et inattendue excite notre surprise, et, après ce premier mouvement, nous nous étonnons qu’un tel phénomène ait pu avoir lieu. L’imagination n’a plus la même facilité à passer d’un événement à celui qui le suit ; c’est un ordre ou une loi de succession dont elle n’a point l’habitude et auquel, en conséquence, elle ne se conforme qu’avec peine ; elle se trouve arrêtée et interrompue dans le mouvement naturel qu’elle se disposait à suivre. Ces deux événements séparés par un intervalle, elle cherche à les rapprocher, mais ils s’y refusent ; elle sent ou croit sentir une espèce de brèche ou d’abîme, elle hésite et s’arrête sur les bords ; elle voudrait le combler ou le franchir, jeter un pont, pratiquer un passage qui permit d’aller d’une idée à l’autre d’un mouvement doux et naturel. Le seul moyen qu’elle trouve pour cela, le seul passage, le seul pont par lequel l’imagination puisse assurer sa marche d’un objet à l’autre et la rendre douce et facile, consiste à supposer que ces deux apparences incohérentes sont unies par une chaîne invisible d’événements intermédiaires et que la suite de ces événements est analogue à celle selon laquelle nos idées ont coutume de se mouvoir. Ainsi quand nous observons le mouvement du fer en conséquence de celui de l’aimant, nous fixons nos regards, nous hésitons, nous sentons un défaut de liaison entre deux événements qui se suivent d’une manière si inusitée ; mais aussitôt qu’avec Descartes nous avons imaginé certaines émanations invisibles qui circulent autour de l’un de ces corps et forcent l’autre à s’en approcher et à le suivre, nous avons comblé l’abîme qui séparait les deux phénomènes, nous avons jeté un pont pour les unir, et nous avons ainsi fait disparaître ce sentiment d’hésitation et de peine qu’éprouvait l’imagination chaque fois qu’elle voulait aller de l’un à l’autre. Cette hypothèse, une fois admise, nous fait envisager le mouvement du fer qui suit l’aimant, comme étant