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rectement dans le plan de son Histoire de la Civilisation, Smith voulait, en outre, combler une lacune signalée par Bacon qui avait tenté vainement d’attirer l’attention des philosophes de son temps sur l’importance des documents que pourrait fournir une étude consciencieuse de l’histoire des sciences et des arts. « L’histoire, avait dit en effet l’éminent fondateur de la philosophie moderne[1], est naturelle, civile, ecclésiastique ou littéraire. J’avoue que les trois premières parties existent, mais je note la quatrième comme nous manquant tout à fait, car aucun homme ne s’est encore proposé de faire l’inventaire de la science, aucun n’a décrit ni représenté ce qu’elle fut de siècle en siècle, tandis que beaucoup l’ont fait pour l’histoire naturelle, l’histoire civile et l’histoire ecclésiastique. Cependant, sans cette quatrième partie, l’histoire du monde me parait être comme la statue de Polyphème, qui n’avait qu’un œil ; et pourtant c’est elle qui nous fait le mieux connaître l’esprit et le caractère de l’homme. Toutefois, je n’ignore pas que, dans diverses branches de la science, telles que la jurisprudence, les mathématiques, la rhétorique et la philosophie, il nous reste encore quelques notions incomplètes sur les écoles, les livres et les auteurs, et quelques récits stériles sur les mœurs et l’invention des arts. Mais, quant à une histoire exacte de la science, contenant l’antiquité et l’origine des connaissances, leurs sectes, leurs découvertes, leurs traditions, leurs différentes administrations et leurs développements, leurs débats, leur décadence, leur oppression, leur abandon et leurs changements, ainsi que les causes prochaines et éloignées de ceux-ci, et tous les autres événements relatifs à la science depuis les premiers siècles du monde, je puis hardiment affirmer que ce travail manque. Un pareil travail n’aurait pas seulement pour objet et pour utilité de satisfaire la curiosité des amis de la science ; mais il offrirait un but plus grave et plus sérieux, qui serait, pour le dire en peu de mots, de rendre les savants prudents dans l’usage et l’administration de la science. »

Aucun auteur, avant Smith, n’avait encore abordé ce genre de recherches ; cette étude avait semblé trop ingrate, parce

  1. De augmentis scientiarum, lib. II.