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gne de louanges ; en second lieu, quelle est la puissance, ou la faculté, de l’âme qui nous fait aimer ce caractère, quel qu’il soit. En d’autres termes, qu’est-ce que la vertu et quelle est la faculté de l’âme qui nous la fait aimer : telle est la double question d’après laquelle il prétend juger les diverses doctrines.

Il a reconnu ainsi que, dans leur manière de comprendre la vertu, les philosophes de tous les siècles pouvaient être groupés en trois écoles distinctes. L’une de ces écoles, avec Platon, Aristote, Zénon, Wollaston et Shaftesbury, plaçait la vertu dans une certaine convenance ou propriété des actions elles-mêmes. Les deux autres, au contraire, envisageant un aspect tout différent, avaient cru la trouver, non dans les actions elles-mêmes, mais dans les conséquences des actions, et, tandis que les uns, comme Épicure, La Rochefoucauld et Mandeville l’avaient fait consister dans le bonheur que nos actions nous procurent, les autres, comme Hutcheson et l’auteur lui-même, la plaçaient dans le bonheur qu’elles procurent à nos semblables : « On peut réduire à trois classes différentes, écrit-il[1], les diverses définitions que les moralistes ont données de la nature de la vertu, ou de la manière d’être de l’âme qui constitue le caractère le plus excellent et le plus digne de louanges. Selon quelques-uns, la disposition de l’âme qui constitue la vertu ne consiste pas dans un genre particulier d’affections, mais dans un empire et une direction convenables de toutes nos affections, qui peuvent être vertueuses ou vicieuses, selon l’objet qu’elles ont en vue et selon le degré de véhémence avec lequel elles le poursuivent : d’après ces auteurs, la vertu est donc ce qui est convenable et propre. Selon d’autres, la vertu consiste dans une judicieuse recherche de notre intérêt et de notre bonheur particulier, ou dans l’empire et la direction convenable des affections personnelles qui ont notre bonheur pour objet unique, et, dans l’opinion de ces moralistes, la vertu consiste dans la prudence. Il en est encore d’autres qui font consister la vertu, non dans les affections qui ont pour objet notre bonheur, mais dans celles qui tendent au bonheur d’autrui ; d’où il résulterait qu’une bienveillance désintéressée est le seul motif qui puisse imprimer à nos actions le

  1. Théorie des sentiments moraux, VIIe partie, sect. II, p. 313.