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espèce de demi-dieu qui juge dans nos âmes du bien et du mal, semble alors, comme les demi-dieux des poëtes, avoir une origine mortelle et une origine immortelle. Il paraît obéir à son origine céleste, quand ses jugements sont l’empreinte ineffaçable du sentiment de ce qui mérite la louange et de ce qui mérite le blâme ; il semble rester soumis à son origine terrestre, quand il se laisse ébranler et confondre par les jugements de l’ignorance et de la faiblesse humaines. Dans ce dernier cas, la seule consolation efficace qui reste à l’homme abattu et malheureux, est d’en appeler au tribunal suprême du juge clairvoyant et incorruptible des mondes. Une ferme confiance dans la rectitude immortelle de ses jugements qui, en dernier ressort, proclament l’innocence et récompensent la vertu, nous soutient seule contre l’abattement et le désespoir d’une conscience qui n’a d’autre témoignage que le sien propre, quoique la nature ait cependant destiné la conscience à être la sauvegarde de la tranquillité de l’homme comme de sa vertu. Ainsi, dans ce monde, notre bonheur dépend souvent de l’humble espoir d’une autre vie, espoir profondément enraciné dans nos cœurs, espoir qui peut seul justifier la dignité de notre nature, éclairer les redoutables et continuelles approches de notre destruction, et nous rendre capables de quelque sérénité au milieu des malheurs qu’engendrent les désordres de la vie humaine. Le système d’une vie à venir, où l’homme trouvera une justice exacte et sera enfin à côté de ses égaux ; où les talents, les vertus cachées, longtemps opprimées par la fortune et presque inconnues de celui qui les possédait, puisque la voix de sa conscience lui en rendait à peine le témoignage ; où le mérite modeste et silencieux sera placé à côté et quelquefois au-dessus du mérite qui, favorisé par sa situation, parvient à la célébrité et à la gloire : un tel système enfin, si respectable sous tous les rapports, si flatteur pour la grandeur de notre nature, si rassurant pour notre faiblesse, lorsqu’il laisse encore quelques doutes à l’homme vertueux, lui laisse aussi le désir et le besoin d’y croire. » Et plus loin[1] : « Quand nous désespérons de voir le triomphe de l’injustice renversé sur la terre, nous en appelons au Ciel, et nous espérons

  1. Théorie des sentiments moraux, IIIe partie, ch. V, p. 192.