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La plus originale et la plus ingénieuse de ces applications est peut-être la classification des vertus.

Adam Smith, en effet, envisage sous deux faces les diverses affections : premièrement, dans leur rapport avec l’objet qui les détermine, et alors elles sont convenantes ou inconvenantes ; deuxièmement, dans leur tendance, et alors elles sont méritantes ou déméritantes. La convenance et le mérite sont donc les deux qualités morales des actions. Or, à l’idée de mérite correspondent deux vertus : la bienfaisance, qui développe en nous toutes les affections tendant au bonheur de nos semblables, et la justice, qui nous fait réprimer toutes celles qui tendent au mal d’autrui. À l’idée de convenance correspondent deux autres vertus : la bienveillance, source de toutes les vertus aimables, qui met nos sentiments à l’unisson de ceux des personnes qui nous entourent, et l’empire sur soi, source des vertus respectables, qui contient l’expression trop vive de nos propres sentiments : « De ces deux différents efforts, dit Smith en parlant des vertus fondées sur l’idée de convenance[1], l’un de la part du spectateur pour entrer dans les sentiments de la personne intéressée, l’autre de la part de celle-ci pour se mettre au niveau du spectateur, naissent deux différents genres de vertus : les vertus douces, bienveillantes, aimables, la naïve condescendance, l’indulgente humanité, tirent leur origine de l’un ; et les vertus sévères et respectables, le désintéressement, la modération, cet empire sur nous-mêmes qui soumet tous nos mouvements à ce que notre dignité et notre honneur exigent, tirent leur origine de l’autre… Les vertus aimables naissent de ce degré de sensibilité qui surprend par tout ce qu’il renferme de tendre, de délicat, et, pour ainsi dire, d’exquis. Les vertus héroïques et respectables naissent de cet empire continuel sur soi-même, qui étonne par la supériorité qu’il annonce sur les passions les plus indomptables de la nature ».

Dans cette classification des vertus, l’auteur se pose en adversaire déclaré de la morale égoïste, et, quelque erronée que soit sa doctrine, on ne peut qu’en admirer, à cet égard, la noblesse

  1. Théorie des sentiments moraux, Ire partie, section I, ch. V, p. 20.