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en nous dès notre naissance, qui nous accompagne dans l’île déserte, et qui assure, bien mieux que la sympathie, l’harmonie universelle, en donnant à tous la même notion du bien et du mal.

Toutefois, bien qu’erronée dans son principe même, la théorie de la sympathie n’en donne pas moins lieu à des applications curieuses et souvent remarquables, lorsqu’Adam Smith entreprend de rendre compte, par son moyen, de tous les phénomènes moraux : c’est ainsi qu’il analyse, d’une façon fort ingénieuse, l’idée de mérite et de démérite, la joie et le remords, la vertu elle-même.

À la vue d’une bonne action, nous sympathisons, selon lui, non seulement avec le sentiment de son auteur, mais encore avec le sentiment de l’obligé. Or, ce sentiment, qui est la reconnaissance, consiste à vouloir du bien à son bienfaiteur ; nous sympathisons donc avec ce désir et nous voulons du bien à l’homme vertueux, tout le monde doit lui vouloir du bien, il le mérite. De même, en présence d’une mauvaise action, non seulement nous avons de l’antipathie pour le méchant, mais encore nous sympathisons avec le sentiment de vengeance de l’offensé, et, comme lui, nous voulons la punition du malfaiteur : voilà le principe du démérite. « Toute action, dit Smith[1], nous paraît digne de récompense dès qu’elle excite en nous un sentiment qui nous porte à faire du bien à son auteur ; de même toute action nous paraît digne de châtiment dès que le sentiment qu’elle nous inspire nous porte à nuire à celui qui l’a faite. …Comme le sentiment que nous avons de la propriété de la conduite d’un homme naît de ce que j’appelle une sympathie directe pour les affections et les motifs qui l’ont déterminé à agir ; de même le sentiment que nous avons du mérite de son action, naît de ce que j’appelle une sympathie indirecte pour la reconnaissance de la personne sur laquelle influe cette action. Comme nous ne pouvons partager complètement la reconnaissance de la personne qui reçoit un bienfait, si nous n’approuvons auparavant les motifs qui ont déterminé le bienfaiteur, il s’ensuit que le sentiment que nous avons du mérite d’une action est un sentiment composé et qui renferme deux impressions distinctes

  1. Théorie des sentiments moraux, IIe partie, section I, p. 73 et 82.