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si sûr que c’est lui que nous devons écouter lorsqu’il est en conflit avec l’opinion de nos semblables chez qui la sympathie a pu être momentanément étouffée par les passions.


Adam Smith a donc été obligé de reconnaître implicitement que le criterium moral est la raison, car son spectateur impartial n’est pas autre chose ; mais, pour maintenir son système, il a cherché à démontrer que ce spectateur impartial ne s’instruit, pour ainsi dire, que progressivement, par l’examen des jugements que nous formons d’abord sur la conduite des autres, et il n’a pas voulu admettre que nous ayons une idée innée du bien.


Ses critiques ont cependant une apparence de vérité lorsqu’il attaque la doctrine de ceux qui trouvent dans la raison le criterium de nos actes, mais c’est qu’il confond la raison avec le raisonnement. « Quoique la raison, dit-il, soit incontestablement la source de toutes les règles de moralité et de tous les jugements que nous portons au moyen de ces règles, il est absurde et inintelligible de supposer que, même dans les cas particuliers d’après l’expérience desquels les règles générales sont formées, nos premières notions du juste et de l’injuste viennent de la raison. Ces premières observations, comme toutes celles sur les quelles les règles générales sont fondées, ne peuvent être l’objet de la raison, et elles sont celui d’un sentiment immédiat. C’est en découvrant, dans une infinité de cas, qu’une telle conduite plaît constamment et qu’une autre déplaît toujours, que nous formons les règles générales, de la moralité. La raison ne peut par elle-même rendre aucun objet agréable ou désagréable à l’esprit ; elle peut bien nous montrer que telle chose est le moyen d’en obtenir une autre qui naturellement nous plaît ou nous déplaît, et nous rendre agréable l’une en vue de l’autre ; mais elle ne nous rend aucun objet agréable ou désagréable en lui-même quand le sentiment immédiat ne parle pas pour ou contre. » Ces observations sont spécieuses, on le voit, mais elles n’ont aucune force contre la doctrine spiritualiste qu’elles prétendent infirmer, parce qu’elles ne s’appliquent pas en réalité à la raison, mais au raisonnement qui, nous le reconnaissons volontiers avec l’auteur, n’est qu’un agent de