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à mort ! Ce n’était pas son souhait criminel qui avait causé l’irréparable ! Il ne fallait pas qu’elle se mit cela dans la tête.

Cette angoisse incompréhensible, ce cœur serré, pourquoi ?… Le Herpe n’était-il pas un ennemi ? Qu’est-ce qu’elle regrettait si fort, et quelle était cette désolation qui la dévastait quand elle se disait qu’elle ne reverrait plus les larges yeux gris bleu comme l’estuaire, le nez fier, la lourde moustache blonde, et ces épaules puissantes dont la carrure lui avait fait si peur.

Une fille de sa trempe impressionnée à ce point ? Elle souhaitait…

Parler du mort ? elle n’en avait aucun droit. Elle ne pouvait pas frapper à cette porte, entrer, mêler son petit visage tout pâle à ceux de la femme et de l’enfant qu’il laissait. Ce mort était pour elle aussi hautain que l’avait été le vivant. Personne, ni lui, ne voulait de son frisson de petite pouilleuse méprisable. Elle était une intruse, une paria, une casseuse de vitres bonne à chasser à coups de balai.

Le menton sur la poitrine, amèrement elle s’éloigna, retournant chez elle, dans son milieu à elle, humiliée par sa propre pensée beaucoup plus qu’elle ne l’avait été par l’offense, deux jours plus tôt.


✽ ✽

Une huitaine passa, huitaine de tourments et d’attente. Ludivine ne savait ni ce qui la tourmentait ni ce qu’elle attendait. En vain sa horde venait-elle la chercher dans la rue. Elle ne voulait ni ne pouvait quitter les abords de la maison Le Herpe.

La femme Bucaille, étonnée de la voir toujours là, l’appelait sans croire qu’elle viendrait.

— Dis donc, Ludivine, tu me pèlerais mes pommes de terre ?…

— Bon… répondait-elle brusquement. J’vas les peler si tu veux !

— Dis donc, Ludivine, tu surveillerais le fourneau pendant qu’je cours en ville ?…