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visage impressionnant juste en même temps que la connaissance de l’insulte.

En passant devant la chapelle, elle eut envie d’y pénétrer un instant. Elle ne savait pas bien ce qui la torturait. Mais un besoin inconnu de recueillement, de protection suprême, lui venait.

Énigmatique pour elle-même, elle finit par ne pas entrer. Elle était du monde de la nouvelle marine, où l’indifférence religieuse a, presque chez tous, remplacé la dévotion des aînés. Pourtant elle avait fait sa première communion, comme cela se doit ; et elle savait, si ses souvenirs étaient exacts, la chapelle pleine de témoignages qui venaient de sa caste, plaques de marbre, petits bateaux suspendus, bouteilles-fées remplies par un minuscule trois-mâts gréé comme les vrais, tous cadeaux offerts par les rescapés des longs-courriers revenant de Terre-Neuve, et même par les simples pêcheurs de cette baie de Seine qu’on a nommée tragiquement « le cimetière des navires ».

Un coup d’œil sur la porte… Non ! Elle s’engagea dans la descente qui la remettrait tout à l’heure en ville. Quelques passants rencontrés, qu’insolemment elle dévisagea, une ou deux voitures qui montaient lentement lui rendirent l’atmosphère quotidienne, l’arrachèrent au merveilleux un instant effleuré.

Et les rues bleues revirent leur petite fille aux yeux couleur de vide, avec sa frange pâle descendue bas sur le front, leur loqueteuse petite sirène qui ne savait rien de sa beauté singulière, et qui, les poings aux hanches, parlait déjà si couramment, si vertement la langue imagée des poissardes.

En entrant dans la première des trois pièces qui formaient le logis natal, au rez-de-chaussée de la maison ardoisée et pittoresque occupée par plusieurs familles, elle trouva sa mère qui pleurait, tout en s’activant autour du petit fourneau.

Voir sa mère pleurer ne l’étonnait ni ne l’émouvait, parce que