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pour que ses voiles prennent la couleur du temps, pour que ses bois brunissent et se polissent sous les mains courageuses qui les mèneront au rude labour des eaux marines.

En arrivant au bas de la Lieutenance, Ludivine et Delphin virent la petite foule amassée là, les hommes découverts et les femmes recueillies comme à la messe.

Deux prêtres étaient à bord, en surplis, jetant l’eau bénite et les poignées de sel et de blé qu’on doit répandre aux quatre coins du bâtiment, au cours de la petite cérémonie. Et les paroles latines et rituelles, murmurées en même temps, donnaient une âme humaine à ce bateau, lequel, comme un enfant qui vient de naître, avait déjà son état civil, tout premier commencement de son histoire.

La puissance mystérieuse des mots semble attirer sur la barque neuve, qui n’était jusqu’ici que bois et toile, une invisible et salutaire présence, faire signe à l’ange gardien pour qu’il veuille, descendu de l’Inconnu, s’asseoir désormais à la barre, spectre transparent parmi les gas en laine bleue.

« Sois propice, Seigneur, à nos prières, et, avec ta droite sainte, bénis cette barque et tous ceux qui navigueront sur elle, comme tu as daigné bénir l’arche de Noé marchant dans le déluge ;

« À ceux-ci, Seigneur, prête ta droite comme tu l’as prêtée au bienheureux Pierre marchant sur la mer ;

« Et envoie des cieux ton ange, afin qu’il délivre, qu’il préserve toujours cette barque de tous les dangers, avec toutes les choses qui seront en elle ;

« Afin que tu protèges (toutes adversités conjurées) au port toujours désirable, dans une course tranquille, tes serviteurs ;

« Afin que, toutes affaires bien négociées et réglées, tu les ramènes chez eux toutes les fois, et avec toute joie.

« Ainsi soit-il ! »